Une première version de ce texte est parue dans la revue Archives de pédiatrie, 16-7, 2009, 1000-1004.
§ II. Les facteurs de mise en place
Ce sont les mêmes d'un pôle à l'autre, mais ils jouent souvent avec une intensité croissante au fur et à mesure que l'on s'approche du plus préoccupant :
A. On n'en trouve pourtant pas toujours qui soient très probants : tissu social et familles valables et adolescent « Monsieur tout le monde ». Mais voilà, ce jeune citoyen lambda a été pris comme tant et tant d'autres par un des grands slogans de la société de consommation, que même l'école propage à sa manière : « Pas moyen d'être heureux ni « gagnant » sans ordinateur » Et un peu par hasard, il a éprouvé de grands plaisirs lors d'un jeu vidéo ou d'une autre activité Internet et a vite appris à les reproduire, à les diversifier ou à les finasser à la perfection.
Ici, le plaisir recherché est donc gratuit, dans une ambiance hédoniste. Et par ailleurs beaucoup d'adolescents, surtout les plus jeunes sont dans une phase de leur vie où ils ont « normalement » du mal à contrôler leur avidité, leurs impulsions face aux tentations de plaisir et de décharge pulsionnelle.
B. Plus souvent cependant, dans le domaine social, nombre de jeunes concernés par la consommation excessive vivent dans des environnements pauvres en pouvoir attractif et en relations de qualité.
– Par exemple, leur scolarité est déjà peu gratifiante avant que ne s'installe le cyber-comportement problématique : J'en reparlerai plus loin.
– Par exemple encore, leurs familles sont caractérisées par le banal manque de dialogue et de plaisirs pris en commun, ou par la fatigue des adultes le soir : nombre de ceux-ci sont contents qu'existe l'ordinateur-cocoon, mais voudraient que ce soit juste assez à leur mode. Plus rarement, c'est plus grave : l'ado fuit l'enfer du salon en se réfugiant dans sa chambre, avec les écrans chatoyants qui l'anesthésient.
C. Sur le plan individuel, sont davantage à risque les adolescents qui vivent sur de longues durées des états d'âme douloureux comme le manque de confiance en soi ; la timidité ; l'angoisse de séparation ; des sentiments d'échec ou d'infériorité … D'autres encore ont l'impression de ne compter pour personne dans le monde incarné.
Pour tous ces ados en souffrance, se fixer à l'écran et y retrouver d'autres, même lointains, ou y faire des expériences de réussite, ou s'y laisser bercer et stimuler par des sensations sensorielles chatoyantes peut constituer une compensation et une anesthésie des plus consolatrices ( Valleur, 2002 )
D. Finalement, un facteur ultime et mystérieux fait passer à quelques jeunes la frontière qui sépare la gourmandise encore maîtrisée et l'abandon de soi aux démons du plaisir, gratuit ou compensatoire. Ce « facteur » n'est pas sans paradoxes, il s'agit de la liberté intérieure, qui va s'exprimer une dernière fois pour envoyer le jeune se noyer dans les multimédia : le jeune décide au moins intuitivement de ne plus décider : « J'abandonne la partie … Que tous ces plaisirs que je connais envahissent ma vie et me téléguident … je me donne à eux » Une fois fait ce passage, le voyage retour n'est pas vraiment impossible, mais beaucoup plus difficile … les nouveaux maîtres du jeu repousseront sous l'eau la tête de la lucidité du jeune, les quelques fois où elle tentera d'émerger.
Cet article est disponible sur le site de Jean-Yves Hayez.