Quels sont les risques liés à l’exposition de nos enfants à la pornographie ? Question à laquelle il devient urgent de répondre, dans la mesure où cette exposition est de plus en plus fréquente. Si le sujet est encore largement tabou dans le cadre familial, à l’école ou dans le débat public, un petit nombre d’associations et de professionnels essaient de briser ce tabou, partant du principe qu’on ne combat efficacement un ennemi que si on l’a clairement identifié.
Internet est devenu le média le plus central de notre culture, et représente aujourd'hui une communauté de plus de trois milliards d'utilisateurs à travers le monde. La plupart se connectent de manière quotidienne, et le web est devenu un outil de travail autant que de culture, de loisir, d’information, d’échanges. La toile se caractérise par la richesse croissante de ses contenus. Cependant, cette croissance peine parfois à être encadrée, et nos enfants sont exposés à certains contenus inappropriés. Ainsi, la pornographie est devenue très facile d’accès. A ce sujet, des études menées depuis 2011 ont révélé l’ampleur de ce phénomène : un enfant a en moyenne 11 ans lorsqu’il est exposé pour la première fois à du contenu pornographique en ligne – le plus souvent de façon accidentelle. Ils sont ainsi 14 % des enfants de 9-16 ans à avoir surfé sans le vouloir sur un site pour adultes, et 36 % des 15-16 ans, nous apprend un rapport publié en 2015 par l’association Ennocence.
Cette exposition précoce à des images « hard » n’est pas sans conséquences. Elle peut perturber certains enfants à vie, avec des conséquences parfois tragiques (dépression, tentatives de suicide, échec scolaire, complexe d'infériorité, banalisation de la violence…). Les médecins, psychologues, sexologues, mais aussi des enfants victimes de ces images, livrent à ce propos des témoignages édifiants. Cette initiation accidentelle à la pornographie peut être une expérience analogue à un abus sexuel, si l'on en croit le rapport sur l'environnement médiatique des jeunes du CIEM (Collectif interassociatif enfance média). Ces visionnages offrent également une version fictive et irréaliste de la sexualité. Ainsi, la multiplication des faits divers récents, comme les « tournantes », viols éthyliques, ou encore la diffusion d’images intimes sur Internet (le revenge porn) permettent de soupçonner un lien entre exposition fréquente à la pornographie et comportement violent.
Un sondage Opinion Way datant de décembre 2015 montre que les parents sont – a juste titre – inquiets, mais souvent impuissants face à ce phénomène. Ainsi, on apprend que 52% des parents ne surveillent pas toujours, voire jamais, leurs enfants lorsqu’ils regardent des vidéos sur Internet. Pourtant, pour ces mêmes parents, les sites de streaming et de téléchargement illégaux représentent une menace pour leurs enfants à plus de 70%. Ici, le problème n’est pas la mauvaise volonté, mais qu’il est très difficile d’empêcher l’accès à Internet à ses enfants, et encore plus de contrôler cet accès. De fait, la pornographie s’immisce partout. Des sites a priori “inoffensifs” (live-streaming, streaming, jeux en ligne, réseaux sociaux…) peuvent contenir des liens vers des sites pornographiques, sous forme de publicités intrusives. Un certain nombre de parents ont recours à des logiciels de contrôle parental sur leurs ordinateurs familiaux, mais leur efficacité est largement contestée.
De son côté, l’industrie du porno n’a bien entendu aucun intérêt à faire en sorte d’enrayer le phénomène, puisque les « clics » des mineurs lui rapportent gros. C’est cynique, mais c’est ainsi. On estime que les enfants tombés contre leur gré sur des contenus inappropriés rapportent chaque année la somme colossale de 147 millions de dollars au secteur. Il est donc inutile d’attendre du milieu qu’il régule lui-même ses pratiques. Au Royaume-Uni, des membres du Parlement souhaitent introduire un système selon lequel les internautes n’auraient plus du tout accès aux sites pornographiques, sauf s’ils indiquent au préalable qu’ils souhaitent regarder des sites pour adultes. Mais les moteurs de recherche comme Google ne voient pas cette proposition d’un bon œil. A ce propos, la députée britannique Fiona Mactaggart confiait au DailyMail : « Les entreprises Web se font tellement d’argent grâce à la pornographie que leurs déclarations ne sont pas surprenantes. Mais elles ne peuvent pas soutenir que leur industrie devrait rester en dehors de toute régulation pour le bien public. »
En France aussi, l’Etat prétend réagir. Par exemple, « le fait de fabriquer, transporter et diffuser un message à caractère pornographique est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur » (Art. 227-24 du code pénal). Cependant, les chiffres croissants d’exposition montrent bien que cette réponse n’a pas su s’adapter au développement d’Internet. 75% des parents interrogés estiment en effet que l’Etat devrait en faire davantage pour lutter contre les images auxquelles les enfants peuvent être exposés sur les sites de streaming, de live-streaming et de téléchargement illégaux. Des sites illégaux qui réapparaissent, sous un autre nom, souvent quelques jours – parfois quelques heures – après avoir été fermés. Quand ils sont fermés, ce qui est loin d’être systématique.
Texte proposé par Hélène Allouet-Lemercier, Psychologue, mère de trois enfants