Pendant que le monde prend peu à peu conscience de l’ampleur du phénomène de harcèlement sexuel qui frappe les milieux du cinéma et de la télévision, experts et associations, à l’instar d’Ennocence, continuent d’alerter sur l’omniprésence de la pornographie sur Internet, qui favorise le développement de comportements déplacés et répréhensibles chez les plus jeunes.
Les témoignages glaçants des victimes d’Harvey Weinstein ont déclenché un phénomène désormais planétaire que rien ne semble pouvoir arrêter. Alors que la liste des victimes de l’ancien producteur de cinéma — l’un des hommes les plus puissants d’Hollywood — dépassait les 80 femmes après quatre semaines de scandale, le hashtag « #metoo » pourrait devenir le premier à être à l’origine d’un mouvement social planétaire.
D’après CNN, pas moins de neuf personnalités masculines, puissantes et célèbres, ont été accusées de diverses formes d’abus sexuel en Amérique, dont l’ancien président George H. W. Bush. Au Japon, pays où les victimes osant élever la voix restent rares, le cas de Shiori Ito a néanmoins réussi à secouer l’opinion publique. La journaliste a en effet décidé de prendre la plume afin de raconter son combat après s’être fait violer, et ce afin d’« appeler au changement d’un système légal et social qui fonctionne contre les victimes d’agressions sexuelles ».
Outre-Manche, la Première ministre, Theresa May, a demandé au président de la Chambre des communes de prendre des mesures pour « mettre fin aux comportements douteux » des députés de Westminster. La pression sur le gouvernement britannique était telle que le ministre de la Défense britannique, Michael Fallon, a « reconnu avoir eu des comportements déplacés par le passé » et a remis sa démission dans la foulée. En France, ce sont des milliers de personnes qui se sont mobilisées le 29 octobre dernier afin de dénoncer les violences faites aux femmes.
Selon une étude Odoxa-Dentsu Consulting, 335 000 messages ont été publiés sur Twitter entre le 13 et le 18 octobre avec le hashtag « #balancetonporc ». Mais si l’affaire Weinstein et le phénomène viral qu’elle a déclenché sur les réseaux sociaux sont récents, le harcèlement sexuel, lui, est un phénomène bien plus ancien, et malheureusement répandu dans tous les secteurs de la société.
Des comportements devenus banals et acceptables
Pour Chris Blache, spécialiste des questions de genre et de territoires, le phénomène de dénonciation sur les réseaux sociaux a « très clairement » ouvert des portes. « Mais il y a quelque chose d’intéressant et curieux à la fois : cela fait des années que l’on dit tout cela et que personne n’écoutait… On connaît les chiffres, mais cela ne rentre pas dans les esprits. C’est cela qui est sidérant », s’inquiète-t-il sur Franceinfo.
Certains comportements semblent en effet être devenus banals et presque acceptables, et ce en dépit de leur extrême violence. C’est le triste constat que dresse Annie Reithmann, directrice d’IPECOM Paris. « Le sexisme est encore très présent au sein de notre société. Bien plus, la dérive langagière des jeunes et ce qui se passe sur la toile peuvent encourager et légitimer des comportements pervers », regrette-t-elle.
Professeur et chef d’établissement, Annie Reithmann a pendant des années vu ce sexisme se manifester à l’école sous forme d’injonctions, d’injures, de blagues à connotation sexuelle et autres formes d’attaque qui visent principalement « des jeunes fragiles, timides et réservés ».
Selon la spécialiste, ces comportements agressifs sont souvent appris sur Internet, parfois sur des sites qui, a priori, n’ont rien de pornographique. Annie Reithmann s’alarme en particulier du rôle des sites de streaming, dont 80 % des publicités diffusées sont à caractère pornographique. Ces images « induisent un rapport de puissance, de domination et une objectivation du corps féminin. Les jeunes intègrent de façon inconsciente une manière négative d’aborder le sexe différent », analyse-t-elle.
Les enfants, exposés à la pornographie dès 11 ans
D’après Ennocence, association spécialisée dans la lutte contre la pornographie présente sur les sites non pornographiques, les enfants ont en moyenne 11 ans lorsqu’ils sont confrontés pour la première fois à ce type d’images. Une réalité qui fait froid dans le dos. Gordon Choisel, président de l’association, met lui aussi en cause les sites de streaming et téléchargement illégaux, sur lesquels « les publicités à caractère pornographique pullulent ».
De son côté, Israël Nisand, professeur de médecine et président du Collège national des gynécologues et obstétriciens, estime que l’accès des enfants et des adolescents à la pornographie « fausse le regard des jeunes sur les femmes ». Intervenant dans les collèges et lycées depuis plus de vingt ans, il s’aperçoit que les enfants sont exposés à des images pornographiques de plus en plus violentes sur le Web. « Les garçons en concluent souvent que les filles sont des objets dont on peut se servir. Et que lorsqu’elles disent non, elles pensent oui », se désole l’expert.
Pour Israël Nisand, l’impact des films X sur la sexualité des jeunes a été suffisamment prouvé pour inciter les pouvoirs publics à agir contre des sites qui réalisent des bénéfices faramineux tout en favorisant l’apparition de la dépendance chez les plus jeunes. Hélas, les pouvoirs publics ont souvent « peur de paraître ringards en engageant ce combat » et refusent de s’attaquer au modèle économique de l’industrie pornographique.
Pendant ce temps, le harcèlement sexuel continue de gagner du terrain, comme le prouve l’affaire Weinstein. Et tant qu’aucune action ne sera mise en place pour combattre les origines de ces comportements déviants, ces derniers continueront d’exister, et Twitter restera la seule arme des victimes pour se faire entendre… une fois qu’il est déjà trop tard.