Piliers du plan gouvernemental de lutte contre les déserts médicaux, les centres de santé ont le vent en poupe en France. Si ce type d’établissements présente certains arguments, il s’appuie néanmoins sur un modèle économique fragile, sans l’appui de grands groupes pour les soutenir.
Depuis plusieurs années, les centres de santé connaissent un nouvel essor sur le territoire français. Alternatives aux traditionnels hôpitaux et cabinets libéraux, ces structures de soins de proximité regroupent différents professionnels de santé : médecins généralistes, dentistes, infirmiers, kinésithérapeutes, etc. Comme les pôles et les maisons de santé, les centres de santé ont pour but de pallier la désertification médicale constatée dans certaines régions. L’accès à ces établissements est facilité par l’application du tiers payant et du principe de non-dépassement d’honoraires, synonymes d’une plus grande équité face aux frais de santé. Il permet également au patient de consulter plusieurs professionnels médicaux et paramédicaux sur un même lieu proche de son domicile. Un avantage certain pour les patients présentant des pathologies complexes ou multiples, comme par exemple les personnes âgées. En 2017, la Direction générale de l’offre de soins en dénombrait 1 750 en France, dont près de 500 polyvalents ou médicaux, le reste proposant uniquement des soins dentaires ou infirmiers. Leur nombre devrait encore exploser dans les prochaines années, si l’on en croit les dernières déclarations d’Agnès Buzyn, qui mise gros sur ces établissements pour rééquilibrer l’offre médicale dans le pays.
Sans surprise, c’est dans une maison de santé à Châlus, en Haute-Vienne, que la ministre a présenté son plan de lutte contre les déserts médicaux le 13 octobre dernier. Chiffré à 200 millions d’euros sur cinq ans par le Premier ministre Édouard Philippe, ce programme ambitieux prévoit notamment de porter à 2 000 le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) dès 2020. Pour les financer, un investissement total de 400 millions d’euros sera partagé entre différents créanciers : État, collectivités territoriales et promoteurs. Portés principalement par des mutuelles, des associations, mais aussi des municipalités, communautés de communes et établissements de santé, ces projets impliquent d’importantes charges fixes pour la construction, l’aménagement et la maintenance des locaux ainsi que la rémunération des personnels administratifs et médicaux, ces derniers étant salariés comme n’importe quel employé. Malgré les espoirs qu’ils suscitent au plus haut niveau gouvernemental, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales jugeait, dès juillet 2013, leur modèle économique « extrêmement boiteux ».
Un plan d’envergure annoncé malgré « l’impasse financière » des centres de santé en France
Déficitaires à hauteur de 6 à 14 % de leur budget en moyenne selon qu’ils soient paramédicaux ou médicaux et polyvalents, « la plupart des centres de santé n’équilibrent pas leurs comptes avec les seules ressources de l’assurance maladie, et ceux qui y parviennent reconnaissent la fragilité de leur situation », s’inquiètent les auteurs. C’est le gestionnaire qui, au final, boucle le budget par une subvention. Pendant des années, cette intervention a masqué la situation d’impasse financière. Pour des raisons propres à chaque type de gestionnaire, la raréfaction des financements extérieurs ‒ réductions des subventions dans le secteur associatif, normes prudentielles dans l’assurance complémentaire, limite de la pression fiscale dans les communes ‒ ne permet plus de croire à la pérennité de cette manière de sortir de l’impasse. » Malgré des efforts de gestion qui « ne suffisent pas » selon le rapport, le déséquilibre financier des centres de santé s’explique pour des raisons propres à leur fonctionnement : la variabilité des recettes, qui dépendent de l’activité du personnel soignant ; le montant des prélèvements sociaux sur les salaires supérieurs à ceux pris en charge par l’assurance maladie ; la complexité administrative pour l’obtention de financements et de remboursements ; etc. Dernier exemple en date de cette Bérézina financière, le centre de santé René Laborie de la mutuelle uMen du spectacle et de la communication qui connaitrait selon la presse spécialisée de graves difficultés depuis son départ de l’institut de prévoyance Audiens.
Autant de sources de pertes d’argent qui font que certains doutent des investissements annoncés dans le plan gouvernemental. « La maison de santé n’est pas la seule forme de travail en commun », confiait au Parisien Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins. Dans le quotidien francilien, Jean-Paul Hamon, président du syndicat professionnel FMF, partageait les mêmes doutes sur les chances de survie de ces structures. Il regrettait pour sa part que « l’ampleur du problème n’ait pas été prise en compte », sous-entendant qu’une réorganisation des ressources sous forme de centres de santé ne suffirait pas à régler un problème aux causes plus profondes. « La France devient un désert médical, ajoute-t-il. 25 % de généraliste en moins en 2025 devrait inciter à plus d’audace. »
(Article originellement publié le 12 décembre 2017)