Au-delà des mesures sanitaires mises en place pour lutter contre le Covid-19, les entreprises doivent porter une attention particulière à la prévention des risques psycho-sociaux chez leurs collaborateurs. Certaines ont ainsi adapté leur management.
La période inédite du confinement liée à la pandémie de Covid-19 n’a pas été sans conséquence sur l’état psychologique de certains salariés. Cet effet induit par le virus a été mis en exergue par l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (AESST), qui alerte les entreprises sur le rôle qu’elles peuvent jouer. Si ces dernières sont dans l’obligation de mettre en place les mesures préventives pour limiter les risques de contamination, elles doivent aussi veiller à la santé mentale de leurs collaborateurs dans le cadre du retour au travail. « Le confinement a en outre provoqué de nombreuses répercussions sur la santé mentale : anxiété, dépression, perte des relations sociales, tensions, voire violences intra-familiales et syndrome de stress post-traumatique », explique le cabinet Red on line, spécialisé dans les questions d’hygiène, de sécurité et d’environnement (HSE) pour les entreprises.
Enclencher un processus vertueux de retour au travail
Ces risques psycho-sociaux peuvent être accentués par le bouleversement des modes de travail, et particulièrement le télétravail. Conjugué à l’école à la maison, à l’augmentation de la consommation d’alcool ou encore au stress lié aux difficultés économiques, il a pu amener son lot d’effets négatifs. De la même manière, le déconfinement génère, lui aussi, de nouvelles formes d’anxiété et d’incertitudes concernant l’emploi et les finances. « À partir de toutes les données obtenues lors de nos enquêtes mais aussi des remontées des entreprises, on sait qu’il y a des attentes très fortes liées à l’emploi, aux transformations des pratiques sociales et professionnelles. Cela va nécessiter pour les entreprises, les organisations du travail, d’avoir une posture adéquate, explique Eric Goata, le directeur général délégué d’Eléas, cabinet d’expertise en risques psycho-sociaux. Il faudra que le manager soit en capacité de calmer les anxiétés qui ont émergé. »
L’Institut national de recherche et de sécurité au travail (INRS) alerte, par ailleurs, sur la nécessité d’aménager un temps d’accueil personnalisé pour chaque salarié. Et appelle à « repérer les situations individuelles compliquées, pour proposer éventuellement une prise en charge personnalisée, par le service de santé au travail, le service des ressources humaines, l’assistante sociale de l’entreprise… » D’autant que des conflits peuvent naître entre ceux qui n’ont pas cessé de travailler, ceux qui ont « bénéficié » du télétravail et ceux qui ont été placés en chômage partiel. Selon l’INRS, les équipes de ressources humaines et de management doivent prendre conscience de l’importance du temps nécessaire à la réadaptation au travail collectif. La tentation pourrait être grande de vouloir « rattraper le temps perdu »…
Un management proactif pour déceler les risques psycho-sociaux
La mise en place des gestes barrière et le bouleversement des habitudes professionnelles peuvent alimenter un surcroît de stress, voire de souffrance sur le lieu de travail, alerte l’institut. Prévenir des risques psycho-sociaux passe alors par l’adoption de nouvelles règles d’encadrement, en organisant par exemple des retours d’expérience sur les pratiques professionnelles mises en œuvre pendant le confinement, mais aussi par plus de communication, notamment sur la situation financière de l’entreprise. La transparence et le dialogue social seraient autant d’atouts pour prévenir la détresse psychologique et atténuer une situation pour beaucoup anxiogène. « En leur fournissant des éléments factuels sur la marche de l’entreprise, ses perspectives économiques et sociales, les évolutions d’organisation et de procédures, les mobilités internes… Cela permettra d’atténuer le sentiment d’insécurité », explique l’INRS.
Pour beaucoup d’organisations, préserver le lien social pendant cette période délicate a été indispensable. Le groupe EDF a, par exemple, pris en compte cette vigilance en y associant ses managers, sa filière ressources humaines et ses organisations syndicales. L’électricien a élargi l’accès à une cellule d’écoute – initialement dédiée aux salariés – à leurs familles et à ses prestataires pour qu’ils puissent s’entretenir avec des psychologues du travail disponibles 24/24h. « Dans cette période, qui peut être source de complexité ou d’anxiété pour certains, il est essentiel d’accompagner les salariés en prenant en compte la composante personnelle et professionnelle. L’écoute managériale et le dialogue social sont deux leviers essentiels », fait valoir Christophe Carval, directeur des Ressources Humaines EDF. Les services de médecine du travail et d’assistants sociaux du Groupe ont ainsi été mobilisés pour accompagner les salariés sur site ou à distance. Les managers ont par ailleurs été sensibilisés à la prise en compte des situations individuelles : salariés fragiles, en situation de handicap, garde d’enfants au domicile etc. Des visioconférences, des formations à distance ou encore des entretiens personnalisés ont par ailleurs été mis en place pour identifier les contraintes personnelles de chacun et maintenir le contact.
Santé au travail : une proposition de loi salutaire ?
Chez Nespresso France, la direction des ressources humaines a, elle aussi, pris la mesure des risques psycho-sociaux dès les premières heures de confinement. Après la fermeture des boutiques, 750 salariés ont arrêté de travailler et 450 se sont retrouvés en télétravail, sur les 1 250 employés que compte le groupe. « Dès le départ, on a accepté l’idée que le télétravail serait réalisé en mode dégradé, au regard de cette situation tellement inédite », explique Hélène Gemähling, la directrice des ressources humaines. L’écoute et la souplesse ont été primordiales pour accompagner les équipes. « Nous avons par exemple aménagé les plages horaires des collaborateurs du centre de relation client pour leur permettre plus de flexibilité dans leurs activités professionnelles et personnelles », explique-t-elle. Maintenir un lien avec chacun des salariés, en activité ou non, par des visioconférences, des newsletters hebdomadaires ou des pauses cafés virtuelles a permis de prendre le pouls de l’effectif au quotidien, selon Nespresso. Cette politique a été appliquée de la même manière pour le déconfinement progressif, en montant un groupe de travail dédié. « Il est important qu’on mène dès aujourd’hui une réflexion là-dessus car le contexte sera certainement très difficile d’un point de vue business comme humain. »
Les deux mois de confinement ont indéniablement mis en lumière l’importance de la qualité de vie au travail, et plus particulièrement les risques psycho-sociaux auxquels sont confrontés les salariés dans un contexte économique dégradé. La santé au travail, tant physique que psychologique, doit devenir «un axe prioritaire de la santé publique et un axe stratégique dans les entreprises ». C’est en ce sens que va être déposée à la rentrée parlementaire une proposition de loi présentée par la députée Charlotte Parmentier-Lecocq (LREM). « Le problème des risques psycho-sociaux est très loin d’être réglé car la crise actuelle ne peut que renforcer la pression sur les travailleurs dans un contexte économique dur », explique celle qui a déjà rendu deux rapports sur le sujet en 2018 et 2019.