Les addictions aux opiacés ont considérablement évolué en France. Les Français consomment beaucoup de cannabis, davantage de cocaïne et l’héroïne demeure une réalité. Les consommations évoluent, les produits aussi, mais la politique de lutte contre les drogues en France demeure la même, d’année en année, insistant largement et de manière légitime sur la prévention, mais délaissant tout aussi largement la question de la médicalisation du risque et du sevrage. Où en est la France en matière de consommation ? Quelles perspectives pour la lutte contre la toxicomanie dans un pays autrefois pionnier comme la France ? Les premiers ne sont-ils pas en train de devenir les derniers ?
Des consommations croissantes, des produits de plus en plus forts
Selon l’état des lieux de l’Observatoire des drogues et des toxicomanies (OFDT) « drogues et addictions, données essentielles », l’usage du cannabis s’est stabilisé à un niveau élevé en France avec environ 1,2 million de consommateurs réguliers et 3,8 millions d’usagers dans l’année. Cela fait de la France le pays de l’Union européenne où la consommation de cannabis dans l’année est la plus élevée.
Cultivé en Europe ou dans l’hexagone, connu sous le nom d’Amnésia, Sinsemilia ou Hase, et de plus en plus consommé, le cannabis est aussi de plus en plus fortement dosé. Les analyses des laboratoires en 2010 et 2011 ont conclu à des taux de THC (tétrahydrocanabinol) trois plus élevés que l’herbe traditionnelle. Ces surdoses en THC peuvent directement présenter des risques de psychoses cannabiques, notamment chez les jeunes usagers qui en sont les principaux consommateurs.
Le constat est tout aussi inquiétant pour l’usage de la cocaïne ou d’autres produits de synthèse. En raison d’une réorientation du trafic international et du développement du marché sur Internet, la France, auparavant peu consommatrice de cocaïne, occupe aujourd’hui une position médiane au sein de l’UE.
Les usages de l’héroïne, même s’ils demeurent faibles à l’échelle de la population globale (90 000 consommateurs dans l’année), concernent des personnes désocialisées dont les conditions de vie sont précaires (appelées pour certains les usagers « cachés, n’ayant aucun contact avec les structures sanitaires en lien avec leurs usages de produits psychoactifs ni avec les services de l’application de la loi) ou des jeunes insérés qui en consomment dans un cadre festif.
D’une consommation qualifiée souvent d’« underground » dans un premier temps, l’héroïne se diffuse peu mais progressivement dans la population générale : en effet, outre l’augmentation du nombre d’expérimentateurs d’héroïne en France [au moins une fois dans la vie] de 360 000 à 500 000 entre 2005 et 2010, l’usage au cours de l’année augmente, et ce de manière significative, chez les hommes. Ainsi l’usage dans l’année qui reste globalement très faible pour la population générale, est tout de même passé de 0.5 % en 2005 à 0.9 % en 2010 parmi les hommes de 18 à 34 ans.
Nouveaux usages, nouveaux produits, nouveaux dangers
Enfin il est à noter que de nombreux nouveaux usages apparaissent, au-delà de la classique injection, en matière de consommation d’héroïne. C’est notamment le cas de la pratique de la « chasse au dragon » ou inhalation des vapeurs produites par la substance chauffée au préalable sur une feuille d’aluminium. Cette pratique, tout comme la consommation en sniff, a connu un certain essor dans les milieux festifs, les usagers considérant l’image de cette pratique moins associée à la déchéance sociale et la mort. Ils l’estiment également porteuse d’un risque moindre que la consommation par injection, toujours très stigmatisée. Mais cette voie d’absorption extra veineuse n’exclut que partiellement les risques infectieux. L’inhalation par voie nasale, quand il y a échange de pailles, n’est pas sans danger. Elle est en outre loin d’être exempte du risque de dépendance et de surdose.
Des saisies massives en 2009 avaient conduit à une pénurie de MDMA, amphétamine stimulant le système nerveux central et comportant des caractéristiques psychotropes particulières. Mais l’année 2010 a vu revenir ces produits sur le marché dans des quantités « normales ». La disponibilité du produit s’est même accrue du fait de sa vente sous trois formes différentes : en comprimé, en poudre et en “cristal”. Cette dernière forme a connu augmentation significative de sa consommation sur certains sites français [Bordeaux, Metz, Marseille, Paris, Rennes]. Les usagers en plébiscitent les effets réputés plus forts que la poudre.
L’une des nouveautés majeures marquant les offres de drogues ces dernières années concerne les drogues de synthèse. Les usagers ont eu accès, notamment par le biais d’Internet, à de nouvelles substances de synthèse imitant les effets de drogues illicites telles que l’ecstasy, l’amphétamine, la cocaïne ou le cannabis. Moins chères que les substances traditionnelles, elles sont également vendues sous des formes très diverses [comprimés, poudre, pâte, pastilles], ce qui les rend plus attractives.
Une étude menée dans le cadre du dispositif TREND [Tendances récentes et nouvelles drogues] a recensé 63 de ces nouvelles substances sur environ 32 sites francophones de vente en ligne. Elles préoccupent particulièrement les autorités européennes, car elles ont peu de visibilité et de contrôle sur leur développement. Et, ce qui est plus inquiétant, les conséquences de la consommation de ces produits sont mal connues.
La France, hier première, demain dernière dans la lutte contre la toxicomanie ?
La France est en train de perdre l’avance qu’elle avait acquise en matière de lutte contre la toxicomanie. Depuis le 31 décembre 1970, date à laquelle est entrée en vigueur la loi réprimant l’usage et le trafic de stupéfiants, la situation a considérablement évolué, en particulier chez les jeunes. Les mesures de santé publique n’ont pas suivi le rythme de croissance de consommation de drogues. En 1987, la vente libre des seringues est pérennisée par la ministre de la Santé de l’époque, Mme Barzach. 8 ans plus tard, les associations sont autorisées à délivrer gratuitement des trousses de prévention contenant seringues, ampoules d’eau, tampon et préservatifs. La France est alors considérée comme la locomotive mondiale, exemplaire en matière de lutte contre la toxicomanie. Puis plus rien jusqu’en 2013.
«Il nous faut changer notre regard sur les consommateurs de produits stupéfiants, sans complaisance, mais avec compréhension. », a fait valoir Danièle Jourdain-Menninger, présidente de la MILDT, qui a préparé le plan de lutte contre la drogue et les conduites addictives dévoilé jeudi 19 septembre par le Gouvernement.
De telles évolutions tant en terme de produits, que de consommation et d’usage doivent alerter les autorités françaises et les inciter à passer à l’action. Le statu quo ne saurait être une position pérenne en France. Les déclarations d’intentions ne suffisent plus. Il est nécessaire d’engager une politique efficiente de lutte contre les toxicomanies et surtout d’accompagnement des toxicomanes dans des parcours de soin médicalisés. C’est à cette seule condition que pourront être mises en place des solutions véritablement efficaces pour les consommations sécurisées, le sevrage et même l’arrêt définitif.