Avant même la parution du DSM 5, grondait la polémique autour de l’inclusion de certains nouveaux « troubles ». Force est de constater qu’elle est justifiée.
En tant que psychiatre, la question se pose : quel sens ce choix de classifier sans relâche révèle-t-il ? Quel sens cela a-t-il de considérer comme une dépression le fait d’être triste plus de 15 jours après le décès d’un proche ? Cet amalgame de critères ne sert qu’à déterminer le seuil établissant la pathologie, donc la nécessité d’un traitement, et à faire oublier le diagnostic raisonné sur la cause de la maladie. Le diagnostic est remplacé par un ubiquitaire mot fourre-tout : « trouble ».
Alors, pourquoi ?
Certains théorisent une sujétion des psychiatres rédacteurs à des lobbies pharmaceutiques selon le principe : plus il y a de maladies, et de préférence plus on abaisse les seuils pour en établir le diagnostic, plus on vend de médicaments, donc c’est bon pour le business. Franchement on ne se hasardera pas à l’affirmer, (présomption d’innocence oblige !) mais dans les faits, l’inflation du nombre de pathologies engendre effectivement une inflation des prescriptions.
Mais au-delà de ce soupçon de collusion, ce qui semble encore plus grave, c’est cette volonté de normer que le DSM 5 révèle. Qu’est-ce qui légitime de déterminer que trois colères par semaine c’est de la pathologie ? Selon le DSM 5 il est anormal d’être triste plus de 15 jours quand on perd un parent, de manger par gourmandise, de faire du shopping … Pourquoi pas un « trouble constestation du bien fondé du DSM 5 » ?
Cette volonté de normer semble beaucoup plus inquiétante que de « simples » motivations mercantiles. Ce changement de paradigme est d’ailleurs assumé : le trouble du comportement est défini prioritairement par une non-conformité aux normes sociales et non plus par une souffrance du patient. Cela traduit une volonté de faire entrer les individus dans un cadre édicté par la société, peut-être guidé par de bonnes intentions, mais arbitraire et liberticide. Cela revient à dire : si vous ne faites pas partie du cadre, vous êtes malade et il faut vous traiter pour revenir dans ce cadre. Bien sûr, cela se justifie dans certains cas.
Simplement, le DSM 5 donne une légitimité scientifique à un cadre sociétal d’une inquiétante étroitesse. Au total, le DSM 5 est un bon outil de recherche. Mais peut-on accepter qu’il soit instrumentalisé comme argument de maintien d’un ordre sociétal et non plus comme un outil au service du soin ?