Le déploiement des compteurs Linky fait ressurgir le sujet de l’électro-sensibilité, argument passe-partout de nombreuses associations militantes qui se posent en protecteurs de la santé. Les scientifiques qui se penchent sur ces questions ne tirent cependant pas les mêmes conclusions.
Lorsque les fours à micro-ondes ont commencé à proliférer en France à la fin des années 1980, des questions ont surgi sur les risques que ces appareils pouvaient faire peser sur la santé. Les mêmes questions ont vu le jour quand les téléphones portables se sont démocratisés. En cause, les ondes électromagnétiques émises par ces appareils, qui seraient susceptibles de causer des dommages à la santé de leurs utilisateurs.
Depuis quelques mois, ce sont les compteurs Linky, en cours d’installation à travers toute la France qui font les frais des opposants aux ondes électromagnétiques. Ces derniers estiment que ces ondes seraient particulièrement néfastes pour les personnes dites « électro-sensibles ».
Hypersensibilité électromagnétique: “pas un diagnostic médical” selon l’OMS
L’hypersensibilité électromagnétique, dit EHS, est une maladie qui fait débat. Les personnes qui prétendent en être victimes développeraient des symptômes tels que des troubles du rythme cardiaque, des pertes de mémoire, des maux de tête ou encore des irritations de la peau, des fatigues inexpliquées… L’anecdote d’une famille qui se plaignait des conséquences de l’installation d’une antenne relai sur le toit d’un immeuble en 2009, alors que cette antenne n’était pas active, est une illustration parfaite de ce que les scientifiques ont observé : lorsque l’on place des personnes électro sensibles dans un espace dénué d’ondes électromagnétiques, et qu’on diffuse de manière intempestive de telles ondes, ces personnes ne savent pas déterminer à quelle moment elles sont actives ou non. En 2015 dans le Sud-Ouest, une femme déclarant être atteinte d’un « syndrome d’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques » s’est vu reconnaître le statut d’adulte handicapée. Mais sans qu’un lien entre ce syndrome et une exposition aux ondes ait été clairement établi.
En France, l’Académie de médecine et au plan international, l’Organisation mondiale de la santé insistent sur la nécessité de prendre en charge les personnes qui sont affectées par ces symptômes. Mais ces deux organisations affirment qu’il n’est pas possible de lier ces maux à la présence d’ondes électromagnétiques. L’OMS a d’ailleurs tranché en rappelant que « l’hypersensibilité électromagnétique (EHS) n’est pas un diagnostic médical.» L’organisation indique que cette hypersensibilité se manifeste “par divers symptômes non spécifiques qui diffèrent d’un individu à l’autre”. Ces symptômes pourraient être liés à des phénomènes de somatisation engendrés par la simple présence d’une antenne relai ou d’un compteur communicant, ou encore à des causes psychiatriques. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié en juin 2016 un rapport[1] sur les effets des ondes électromagnétiques, qui souligne que « le niveau de preuve est suffisant pour dire que, dans l’EHS – comme dans de nombreuses autres affections – il existe une composante psychique non négligeable (…)».
Sébastien Point, docteur-ingénieur en physique note que pour les appareils les plus courants, comme les téléphones portables ou les fours à micro-ondes, les « énergies mises en jeu sont très insuffisantes pour casser les liaisons moléculaires », donc sans effet pour la santé. Et il rappelle que dans le cas de Linky, l’argument de la nocivité est d’autant plus erroné que cet appareil communique via le réseau filaire.
Des cas de récupération politique
En face, les associations qui mènent le combat contre les ondes électromagnétiques jouent essentiellement sur la peur. Au cours d’une réunion sur le compteur Linky en Haute Loire en octobre dernier, les opposants disaient de ce compteur : « ça empêche de dormir, ça fait vomir, ça rallume la télé ou l’ordinateur, ça fait disjoncter… » Face à ce déluge de symptômes aléatoires, plusieurs personnes ont fini par quitter la réunion, interpellées par le côté excessif des débats.
Dans le Nord de la France, les mêmes excès sont observés, quand les opposants au compteur Linky invoquent le risque de cambriolage engendré par cet appareil connecté, qui pourrait renseigner des personnes malveillantes sur l’absence des occupants d’un logement. Et dans certains cas, le débat vire à la récupération politique quand les opposants aux ondes électromagnétiques utilisent ce combat pour mettre en cause l’équipe municipale de la commune contre laquelle ils sont en campagne.
Dans ce contexte, on mesure à quel point les données scientifiques passent au second plan quand il s’agit pour des associations militantes, de monopoliser le devant de la scène. Quitte à prendre en otage les questions de santé publique. Quitte aussi à instrumentaliser les peurs.
[1] Hypersensibilité électromagnétique ou intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques