La chirurgie esthétique prend de plus en plus de place dans notre société, et de nombreuses questions se posent. Est-il possible de souffrir d'une addiction à la chirurgie esthétique ? Quelle est la part de responsabilité des patients et des chirurgiens dans les scandales qui secouent la presse ? Le tourisme esthétique est-il dangereux ? Le Docteur spécialiste en chirurgie plastique et esthétique, également directeur de la clinique Montaigne à Paris, Jacques Ohana, répond une nouvelle fois à nos questions et termine ce dossier spécial sur la chirurgie esthétique.
La France est au 9e rang mondial des pays dont les habitants pratiquent le plus la chirurgie esthétique et plastique. Cette dernière se démocratise et femmes et hommes y ont de plus en plus recours.
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La chirurgie esthétique peut effrayer, car source d’une véritable addiction chez certains, que répondez-vous ?
La chirurgie esthétique n'échappe pas à la règle générale selon laquelle l'excès en tout est nuisible. Les cas sont rares, mais existent. Des patients subissent des interventions multiples, inutiles et répétées, conduisant à des caricatures et dénaturant l'essence même de l'esthétique. Il ne s'agit bien sûr pas d'addiction et de dépendance au sens propre du terme, mais plutôt d'une « attitude addictive » qui révèle une pathologie comparable. Elle témoigne d'un important déficit d'estime de soi, d'une absence de sens critique et d'un désarroi qui conduisent à une remise en question permanente et relativement désespérée. Bien évidemment, la majorité des chirurgiens refuse d'opérer ces patients dont ils savent l'insatisfaction chronique.
Fort heureusement, de tels cas restent rares et les patients qui ont recours à la chirurgie esthétique savent pour la plupart conserver un sens critique et une analyse objective de leur situation, aidés en cela par leur chirurgien.
La profession est très encadrée pourtant des scandales éclatent régulièrement…
Là aussi, et comme dans tous les domaines, aucune profession n'est à l'abri d'un dérapage. Justement parce que la profession est strictement encadrée, les dérapages sont rares. Et parce qu'ils sont rares, on en parle d'autant plus. D'autre part, il y a dans le domaine médical un côté sacré qui explique la légitime intransigeance que l'on peut avoir face un dérapage.
Les malversations dans le domaine politique ou dans celui des affaires par exemple sont légion et, quand elles éclatent, sensibilisent effectivement beaucoup moins l'opinion publique.
Le phénomène du tourisme esthétique se répand, qu’en pensez-vous ?
Le phénomène de tourisme médical est une des conséquences de la démocratisation dont nous parlions. Il permet un accès facilité et légitime à la chirurgie esthétique, pour une population plus large, et à des prix réduits. Il est rendu possible dans des pays où le niveau de vie et les salaires, donc le prix de revient, sont significativement plus bas qu'en France.
Ce système, tel qu'il fonctionne actuellement, présente cependant des inconvénients majeurs à mon sens. Le premier est que le patient n'a pas le libre choix de son praticien et qu'il ne sait à priori pas qui va réellement l'opérer. Sans vouloir polémiquer sur la qualité et l'expérience des praticiens, il est possible que l'encadrement ne corresponde pas à celui qui est pratiqué en France et qu'il ne soit pas aussi rigoureux.
Le second inconvénient est tout aussi important. Il s'agit du suivi post-opératoire. En effet, une intervention ne se limite pas au seul temps opératoire. La gestion des suites est essentielle. Le chirurgien doit s'assurer de l'absence de complication et donner des conseils adaptés pour orienter vers le meilleur résultat possible.
Je ne suis pas du tout contre le principe du tourisme chirurgical. Il est cependant nécessaire qu'il soit mieux encadré pour permettre aux patients d'être orientés vers des praticiens étrangers d'expérience (et il y'en a) et d’évoluer dans un système qui puisse assurer les suites opératoires, lorsque le patient réintègre son pays d'origine.
Vous êtes l’un des plus grands chirurgiens esthétiques en France, comment se hisse-t-on parmi les tout meilleurs de sa spécialité ?
Tous les plasticiens renommés que je connais ont un parcours comparable au mien, marqué par l'effort, l'intransigeance et le sens critique. Il faut d'abord avoir la chance de bénéficier d'une bonne formation. Choisir ses Maîtres est un second privilège qui confère une rigueur et une expérience certaines. Jean Sauveur Elbaz, Paul Tessier et Yves Gerard Illouz m'ont transmis avec générosité le fruit de leur savoir. Avoir été leur élève est une base indispensable que j'apprécie encore aujourd'hui de façon quasi quotidienne. Chef de clinique dans les hôpitaux de Paris, j'ai bénéficié grandement de la confiance de mes chefs de service, et du professeur Banzet en particulier. La lecture systématique des articles importants dans les revues spécialisées et la présence assidue aux congrès professionnels importants aiguisent aussi la curiosité.
Les voyages également apprennent beaucoup et permettent de rencontrer les différentes écoles, et leurs chefs de file, brésilienne (Pitanguy, bien sûr), canadienne (Bossé, Papillon…) ou américaine (Sheen,Rees,Baker…) entre autres. Cette formation est un tremplin précieux qu'il faut savoir mettre à profit au cours de son exercice professionnel en appliquant des principes simples : chaque intervention est une remise en question. Chaque geste doit être réfléchi et repensé. Les résultats, même les meilleurs ne sont jamais une fin en soi, mais restent une matière à réflexion. Enfin bien sûr, le geste chirurgical est indissociable de l'écoute attentive qu'il faut porter aux patients.
Ce sont là quelques principes que mes Maîtres m'ont transmis.
Quelle a été la demande la plus extravagante qui vous ait été adressée ?
Les demandes extravagantes, si elles existent, font partie du secret de la consultation. Non, le nez de Depardieu, le visage de Sapritch, ou les seins de Birkin ne sont pas inscrits au palmarès. Plus sérieusement, les demandes les plus surprenantes (rares heureusement) sont celles qui témoignent d'un décalage évident avec la réalité.
Il y'a ceux qui savent mieux que personne ce qu'il y aurait à faire et qui voient des défauts ou il n'y en a manifestement pas. Attention, insatisfaits chroniques. Et ceux au contraire qui ne savent pas du tout ce qu'ils veulent:
-Je n'aime pas mon nez.
-Pourquoi ?
-Je ne sais pas, mais ça ne va pas.
-Qu'est-ce que vous n'aimez pas?
-Je ne sais pas. C'est vous qui savez docteur.
Dysmorphophobies dit-on, ou la crainte permanente d’être difforme.
Le phénomène de tourisme esthétique ne cesse pas à se développer vu les prix qui sont très attrayantes dans plusieurs destinations. Des pays comme la Tunisie et le Maroc sont des destinations préférées par les français.