OPINION, par Sylvain Reboul
La question de la prostitution masculine ou féminine, ce qui fait de celle-ci, en droit, une question qui dépasse celle des genres, est le plus souvent l'objet d'une débat idéologique d'une extrême confusion. Les abolitionnistes prétendent éradiquer ou interdire la prostitution en argumentant à partir de quatre postulats plus ou moins indissociés.
La prostitution ne serait que l'expression extrême de la domination des femmes par les hommes, au point de faire des premières les esclaves des seconds.
La pratique de la prostitution serait un acte de vente d'un partie du corps en ce qu'il a de plus intime et donc de dépossession de soi, ce qui définit l'esclavage.
Les prostitué(e)s ne pourrait pas être consentant(e)s car ils (elles) seraient nécessairement forcé(e)s à cette activité par des proxénètes esclavagistes ou par la misère économique.
La prostitution opérerait une rupture entre la vie sexuelle et la vie amoureuse qui seule peut conférer à l'activité sexuelle son sens légitime et sa valeur.
Or il est facile de répondre point par point à ces affirmations pour en démonter ou en déconstruire la validité argumentaire.
La domination, si domination il y a, quel que soit le sexe du ou de la prostituée, ne concerne que la dissymétrie entre client et travailleurs du sexe dans l'obtention ou l'accès au plaisir érotique, voire orgasmique. Mais cette dissymétrie est extrêmement courante dans l'activité sexuelle et dépasse largement la question de la prostitution : l'activité sexuelle en effet n'implique nullement que chaque partenaire soit toujours en position égalitaire de désir ou de plaisir si tant qu'est que cette égalité soit mesurable, voire détectable. Qu'en est-il en effet des relations sexulles entre partenaires dites « » et apparemment gratuites? Un des partenaires est très souvent consentant pour faire plaisir à l'autre et non pas parce qu'il a envie ici et maintenant de prendre son plaisir. Si l'un consent à l'acte sexuel pour des raisons ou un bénéfice autre que son propre plaisir érotique direct (exemple le désir de concevoir un enfant, ce qui peut être fait sans plaisir orgasmique de la femme ou plaisir de conserver le bénéfice de l'amour de l'autre) ce que les églises et les moralistes de toutes obédiences ont toujours, non seulement admis, mais même imposé dans la cadre du mariage, pour un motif de fidélité réciproque constitutive de du mariage religieux et pendant longtemps civil
La prostitution ne consiste, à l'évidence vécue, non d'une vente d'une partie du corps, mais d'un service rémunéré temporaire tarifé dans le cadre d'un contrat commercial tacite qui se trouve, dans les condition, actuelles, hors tout droit commercial, dès lors que l'on prétend l'interdire pour des motifs moraux. Or il est fallacieux de prétendre que ces motifs concerneraient la santé publique et l'intérêt général en droit libéral. En effet, le fait est que, dans les condition d'illégalité en effet ces deux derniers, du fait même de l'interdiction ou de la prohibition légale, sont en danger grave. Mais rien ne permet de penser que l'encadrement en termes de droit du travail et de santé publique ferait que la prostitution serait d'une autre nature que d'autres activités de service légales (pensons aux massages esthétiques ou thérapeutiques). Cette confusion entre la cause et l'effet de la prostitution illégale -confusion qui consiste à accorder à la prostitution en général les maux générés par son illégalité-, pour être courante, n'en est pas moins logiquement absurde. Reconnaissons donc que la sexualité est l'objet d'une interdit moral particulier du fait de la relation idéologique traditionnelle établie entre l'activité sexuelle avec le mariage (devoir conjugal) et la filiation (succession). Or cette relation traditionnelle est aujourd'hui mise en cause par les droits à la contraception et à l'avortement et par le fait que l'adultère n'est plus considéré par le droit comme comme un motif suffisant de divorce au tord de l'infidèle et par celui que la filiation traditionnelle est aujourd'hui abandonnée dès lors que la distinction entre enfants naturels et enfants légitimes est juridiquement abolie. Si cette particularité de l'activité sexuelle est en voie de disparition, alors rien ne peut plus en droit s'opposer à la prostitution en tant qu'activité de service rémunérée comme une autre. Sa légalisation ferait des droits des prostitué(e)s des droits identiques aux droits de toutes les autres activités légales, y compris les droits syndicaux, de service en tenant compte des problèmes particuliers liés à son exercice propre et à ses conditions et risques spécifiques, en particulier pour la santé, comme dans toutes les autres professions.
Dans ces conditions de légalisation, la question du proxénétisme ne se poserait plus de la même manière, celui-ci comme activité illégale anti-libérale et criminelle, resterait interdite comme aujourd'hui, mais seuls des employeurs de travailleurs (travailleuses) d'un activité salariée soumise aux conditions du droit du travail (droits syndicaux inclus), seraient autorisés. Une partie des prestataires de services sexuels pourraient du reste s'exercer dans un cadre libéral. Quant à la question économique et à la misère qui contraindraient selon les prohibitionnistes à se prostituer contre la volonté spontanée des travailleurs du sexe, outre qu'il en est de même dans nombre d'activités parfaitement légales, rien ne permet d'affirmer que dans des conditions de non opprobre moralisante, ce que permettrait progressivement sa légalisation, la prostitution serait moins choisie que d'autres activités de service en soi ni plus ni moins valorisantes dans un tel cadre de droit. (il en est de même de la question de l'homosexualité et de l'homoparentalité) . Or l'état laïque et pluraliste ne peut faire d'un préjugé moral traditionnel un motif suffisant d'interdiction sans mettre en cause son fondement libéral.
Le lien prétendument nécessaire entre la vie amoureuse et la vie sexuelle ne va pas de soi sur le plan du droit. Outre qu'il est impossible d'imposer une définition universelle de l'amour, rien n'interdit, par exemple, le mariage d'intérêt ou le simple devoir conjugal et et rien non plus n'interdit plus l'activité sexuelle sans amour pour le seul plaisir instantané qu'elle procure. Faire de cette dissociation un motif d'interdire la seule prostitution est donc illogique. Cette association ou dissociation entre la vie sexuelle et la vie amoureuse est de l'ordre de la vie privée et le droit n'a pas à y intervenir tant que les partenaires sont consentants et que la violence en est exclue.
On peut toujours, au nom de la liberté des femmes et d'une vision de l'acte sexuel comme n'étant moralement légitime qu'en tant qu'acte d'amour, prétendre qu'il faudrait dans un état démocratique et laïque abolir ou éradiquer l'activité sexuelle marchandisé, mais outre que cette abolition ou prohibition laisse la porte ouverte au proxénétisme criminel comme condition illégale de la prostitution, dès lors que l'on peut, en effet, interdire et réprimer le crime, mais non en supprimer totalement la possibilité, on se mettrait en contradiction avec la liberté sexuelle par ailleurs revendiquée comme un droit qui s'impose, en droit démocratique, comme un des droits fondamental de la personne. Il est temps de considérer dans un cadre libéral et laïque le travail sexuel et dans l'intérêt même des prostitué(e)s , comme une activité de service comme une autre. Il est temps de faire de cette activité une activité aussi respectée et respectable juridiquement que celle d'une masseu(se)r, d'un(e) kinésithérapeute ou d'une esthéticien(ne), voire d'un(e) infirmier(e) Tout autre attitude, plus ou moins, abolitionniste, est irrationnelle et donc illégitime en droit.