Si l’ère du temps est à la gestion des risques et à la sécurité du patient, la tentation reste forte, d’évacuer encore, une fois de plus, le médecin. On l’a fait sous le légitime prétexte d’objectivité qui protège patient comme médecin. On peut aussi le faire au nom de l’abnégation au patient et à la médecine : pense aux autres ! fais des efforts !
Pourtant cette évacuation du médecin, relégué au rang d’acteur « clandestin » est à la fois illusoire et injuste. Illusoire parce que la médecine, malgré son utilisation et sa production de savoir sur l’être humain et ses difficultés, reste encore et toujours, une relation d’aide impliquant des personnes notamment celles des soignants. Ce sont eux qui accueillent, reçoivent et vont chercher l’information, la travaillent, en tirent des enseignements à partir desquels ils prennent des décisions, les mettent en actes et les accompagnent.
A chacune de ces étapes, les caractéristiques des humains peuvent intervenir même si l’aspiration « théorique » (le fantasme ?) serait que tout soignant soigne tout patient de la même façon dans toutes circonstances. L’EBM nous a appris que le Savoir vient s’articuler avec les éléments relevant du patient et ceux relevant du médecin, le tout s’inscrivant dans un contexte dont l’influence peut être considérable, voire déterminante. Le registre du savoir lui-même n’est pas à l’abri de distorsions.
Evacuer le médecin est aussi injuste parce que, même si sa fonction est de se centrer sur son patient, il mérite aussi, si ce n’est de la déférence, au moins le respect lié à une activité dont on espère qu’elle continue à être considérée comme noble. De plus, le médecin travaillera avec d’autant plus d’efficacité qu’il se sent investi et reconnu dans sa fonction et qu’il y trouve son compte et pas seulement sur le plan financier. L’investissement humain du médecin dans sa pratique est variable selon ses désirs et sa position dans le système de soin, mais il reste fondamental au moins pour les cliniciens, ceux qui sont en contact avec les patients.
Il est légitime que les soignants puissent soigner avec une sérénité maximale. Lorsqu’il est impliqué dans un événement indésirable associé aux soins, qu’il soit ou on fautif, le soignant est impacté plus ou moins fortement et parfois transformé en « seconde victime », selon l’expression désormais bien connue d’Albert Wu. Il peut alors vivre une période dramatique et ressentir détresse et isolement. Ainsi la gestion des risques qui peuvent toucher le patient doit aussi, à un autre niveau, s’associer à la gestion des risques pour le soignant.
Extrait de "L'erreur médicale, le burnout et le soignant" d'Eric Galam