Encore méconnu et faisant l'objet d'une prévention trop discrète, le jeu pathologique, ou dépendance au jeu, prend pourtant de plus en plus de place dans notre société au contexte économique troublé. Zoom sur cette maladie avec le professeur Michel Lejoyeux, addictologue.
Depuis quelques années et l'avènement d'internet, les jeux d'argent se sont exportés hors des murs des casinos. Et les contrôles de sécurité sont particulièrement faibles.
Pour le professeur Michel Lejoyeux, psychiatre et addictologue à l'Université Paris VII, auteur de « Changer en Mieux », le manque de données sur ce sujet est « particulièrement inquiétant ». En effet, la France est l'un des rares pays victimes d'un véritable néant d'information. « L'absence de données épidémiologiques et d'évaluations subjectives fait que je ne peux pas vous donner de nombre approximatif des joueurs pathologiques en France », regrette-t-il.
La dépendance au jeu apparaît dans le champ des pathologies recensées par le DSM 5. « Comme toutes les dépendances, elle se caractérise par une perte de contrôle, une fixité du comportement et des dommages financiers » explique l'addictologue.
Une maladie biologique, psychologique et sociale
Les personnes les plus sensibles d'être touchées sont les jeunes qui sont déjà victimes d'une forme de dépendance au tabac ou à l'alcool. Et « tout dans notre société semble tendre vers cette dépendance ».
Car cette maladie est le fruit d'une « triade » de facteurs : biologique, psychologique et social. « Il y a une part de génétique, une part de psychologique, mais aussi une grosse part qui dépend de l'accessibilité à la chose » souligne le Pr. Lejoyeux. Le jeu pathologique n'est donc pas du tout purement biologique.
Il existe des conformations génétiques qui sont les mêmes chez les alcooliques et les fumeurs. Elles concernent la transmission de la dopamine dans le cerveau, la zone de « récompense cérébrale » qui s'active lorsqu'un comportement confère du plaisir au sujet. « Les dépendants au jeu sécrètent trop de dopamine » explique le Pr Lejoyeux. « On a pu observer chez des malades de Parkinson, qui eux, n'en fabriquent pas assez, qu'une dose de dopamine les rend plus sensibles au caractère addictif du jeu ».
Mais il n'y a aucune fatalité. Pour le psychiatre, « il faut se méfier d'un déterminisme simple et penser de manière complexe ». La conjonction avec la pression sociale est à prendre en compte.
Une prévention qui ne fait pas partie des priorités de l'Etat
« C'est un sujet majeur de santé publique » souligne Michel Lejoyeux. Alors pourquoi n'en entendons-nous pas parler ? L'information et la prévention sont d'une inquiétante discrétion. De fait « la motivation des prestataires privés est bien faible car les jeux rapportent de l'argent à l'Etat en taxes ».
Cette motivation s'illustre par l'importance donnée aux messages de prévention. « La topographie des affiches pour des sites de jeu en ligne le montre bien. Sur une immense affiche, on ne verra qu'un minuscule bandeau ''jouer comporte des risques'' ».
« On ne voit pas d'affiches mettant en alerte vis-à-vis des dangers, avec en gros, ''Jouer augmente le risque de suicides'' », un manque d'importance conféré à cette maladie aussi dévastatrice que toute autre dépendance que regrette le professeur Lejoyeux.