Depuis quelques temps déjà, dans les couloirs du ministère de la Santé et du ministère de l'Enseignement Supérieur, s'agite la réforme des études de kinésithérapie. Une réforme dont on parle depuis plus de 20 ans et qui permettrait de mettre à jour les programmes et d'inclure ces études dans le cadre européen des ECTS, les crédits européens permettant une équivalence européenne du niveau d'études. Mais autre chose se trame également.
Réformer le programme : une nécessité
Aucun des concernés, des étudiants aux professeurs en passant par les universités et les prépas, et les IFMK (Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie) n'est contre une réforme du programme : celui-ci date maintenant de plus de 25 ans et la médecine a avancé depuis. La réingénierie devient donc non seulement souhaitable mais nécessaire.
Et il en est de même pour l'alignement sur le système européen des ECTS qui permettra, personne n'en doute, de reconnaître les kinésithérapeutes français à l'étranger, les ECTS servant essentiellement à cette reconnaissance internationale.
Ces demandes, formulées à plusieurs reprises par les syndicats étudiants et des kinésithérapeutes, ne posent pas de problèmes majeurs. Mais d'autres revendications, elles, pourraient avoir des conséquences graves pour la profession… et pour l'université en France.
Pas de reconnaissance du grade master
Parmi les revendications des kinésithérapeutes il y avait la reconnaissance d'un grade « Master » (ou BAC+5) pour ces études. Le ministère, par le biais de Marisol Touraine, n'a proposé qu'une reconnaissance de grade Licence (ou BAC+3). Les négociations semblent s'être arrêtées au grade BAC+4 avec peut-être à la clé, une revalorisation du salaire (rien n'est sûr pour le moment) ! Mais pas assez élevée, pour les syndicats.
Si cette reconnaissance de Master ou pas est une question essentiellement de salaire et d'accès à la recherche, le gros problème survient lorsqu'on parle de la refonte du système d'accès aux études de kinésithérapie. Car les syndicats étudiants, eux, voudraient faire passer tout le monde par l'Université via la PACES (première année de médecine) ou les STAPS afin de sélectionner les étudiants qui ensuite intégreraient des écoles soit publiques, soit privées.
Une seule voie pour accéder aux études de kiné ?
Actuellement, pour devenir kinésithérapeute, il faut intégrer un IFMK. Pour ce faire il y a deux voies possibles : la voie universitaire, via une première année de médecine (la PACES) ou L1 ou STAPS suivie d'une spécialisation, et une voie privée par le biais d'un concours basé sur les matières scientifiques de première et terminale S. Sur 2500 places en IFMK 1700 sont réservées à l'université et 800 aux concours. Des prépas indépendantes proposent un parcours de formation aux étudiants pour la réussite de ces concours. Au final, le diplôme étant d'Etat, les deux voies mènent au même endroit et le diplôme sanctionne les mêmes connaissances. L'intérêt de cette double voie est évidemment de diversifier les profils sélectionnés et de permettre un plus large accès aux études à tous.
Selon les syndicats étudiants, toutefois, la deuxième voie (celle du concours) pose problème car elle est payante ; ils aimeraient que tous les aspirants kiné passent par une PACES (ou L1 ou STAPS), donc par l'université. Or, comme tout le monde le sait, une bonne partie des étudiants en médecine est inscrit aussi en prépa en parallèle… la question de la gratuité des études est donc faussée. (Comme souvent il s'agit plus de dogmatisme que de pragmatisme, les syndicats étudiants oubliant que les études ne sont pas gratuites et que forcément quelqu'un paye : le contribuable, le particulier, ou l'entreprise.) Et ne vaudrait pour la plupart que pour un an, à moins que notre gouvernement n'ait les moyens de nationaliser l'ensemble des écoles de Kiné (IFMK) qui deviendraient alors publiques. Décision fortement improbable compte tenu du contexte économique.
Mais, surtout au-delà, supprimer les prépas risque d'engorger encore plus une voie déjà trop remplie : tous les étudiants désirant devenir kinésithérapeute se retrouveront à l'université, où le taux d'échec est très important (85% en moyenne en PACES, la voie principale) et où le niveau nécessaire pour réussir est très élevé (d'où l'inscription en prépa en parallèle). Les témoignages ne manquent pas sur des étudiants inscrits en PACES qui n'ont même pas accès aux amphis faute de place…
Tous les aspirants kinésithérapeutes n'ayant pas le niveau pour passer la première année de médecine se retrouveront donc bloqués alors même que par la voie du privé ils auraient pu réussir. Ce sont des futures vocations qui pourraient être « cassées » par ce projet. D'autant que puisqu'il s'agit d'un diplôme d'Etat, leur niveau n'est pas inférieur à celui de quelqu'un qui serait passé par une PACES. Concours ou PACES il y aura de toute façon toujours une sélection.
Des conséquences économiques graves
Le plus étonnant, dans cette histoire, est que Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales, semble avoir changé subitement d'avis concernant le maintien des deux voies d'accès au concours de kinésithérapeute.
En janvier 2013, dans une lettre, la ministre s'était prononcée en faveur du maintien des deux voies mais, subitement, en décembre 2014 elle semble s'être orientée vers la suppression des prépas avec tous les problèmes économiques que cela induit.
Les prépas, qui préparent les étudiants aux concours paramédicaux, emploient quelques 8 000 salariés répartis sur environ 300 établissements dans toute la France. Ces établissements accueillent 40 000 étudiants chaque année. Si la réforme se faisait en l'état avec la suppression du concours pour les Kinésithérapeutes c'est environ 2000 emplois menacés et plusieurs milliers d'étudiants qui intégreraient des universités déjà pleines.
Alors que le chômage est au plus haut en France il paraît absurde de faire une réforme qui l'augmenterait encore plus. Sans compter que le passage à l'Université représenterait, à terme et selon les statistiques de la loi de finances pour 2014, un surcoût d'environ 400 millions d'euros.
La réforme des études de kinesithérapie va entraîner la suppression de 2 000 emplois.
Article initialement publié sur EconomieMatin et reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur