Longtemps fierté nationale, le système de santé britannique, le NHS, semble en stade terminal. La faute à un sous-investissement chronique et aux rigidités inhérentes à un modèle 100% public, plus que jamais inadapté à nos sociétés modernes. Attention cependant : la France pourrait, en adoptant un projet de tiers payant intégré tournant le dos aux mutuelles, faire le choix désastreux de renoncer à la souplesse d’un système reposant depuis 1945 sur un subtil équilibre public-privé ayant largement démontré sa résilience.
Il y a l’histoire de ce petit garçon de 5 ans, mort d’une pneumonie après avoir été renvoyé, sans recevoir de soins, de l’hôpital de la région de Sheffield où ses parents ont patienté en vain pendant plusieurs heures. Ou encore celle de ce vieil homme du Pays de Galles, décédé des suites d’une crise cardiaque faute d’avoir été secouru à temps par une ambulance. Deux drames, parmi des centaines d’autres, qui ont fait la Une des médias britanniques ces derniers mois et bouleversé l’opinion publique outre-Manche. Deux tragiques illustrations de la faillite d’un système de santé public, le NHS (National Health System), qui fut pourtant, depuis sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, longtemps considéré comme un fleuron des services publics du Royaume-Uni. Une époque malheureusement révolue.
En effet, d’après les autorités sanitaires britanniques, quelque sept millions de personnes seraient, aujourd’hui, dans l’attente d’une prise en charge médicale. Que ce soit pour subir une opération, obtenir un traitement ou tout simplement décrocher un rendez-vous avec un médecin, se faire soigner tourne de plus en plus au parcours du combattant, quand ce n’est pas au cauchemar pur et simple. En ce début d’année, le temps d’attente moyen pour qu’une ambulance arrive sur le lieu d’une urgence dépasserait les 90 minutes, et ce même en cas de suspicion d’AVC ou de crise cardiaque. Et parvenir à l’hôpital n’est souvent pas synonyme de soulagement : au terme du seul mois de décembre dernier, plus de 54 000 personnes auraient ainsi patienté plus de douze heures avant d’être prises en charge.
NHS : les failles d’un système 100% public
Comme s’en désole l’épouse d’un homme lui aussi décédé des suites d’une crise cardiaque non prise en charge, « le NHS est cassé. Tout le monde a peur de tomber malade en se demandant ce qui va se passer. Les choses doivent changer ». Mais comment, tout d’abord, expliquer que le système de santé britannique soit ainsi à bout de souffle ? Le problème ne date pas d’hier : depuis plusieurs décennies, les experts alertent sur le sous-financement chronique du NHS, ainsi que sur les pénuries de personnel. Une situation explosive, encore aggravée par le Brexit – beaucoup de soignants exerçant au Royaume-Uni provenaient du territoire de l’Union européenne –, par la pandémie de Covid-19 ou par l’inflation, ce dernier facteur ayant convaincu les infirmiers et ambulanciers du pays de se mettre en grève trois fois en trois mois – un mouvement social aussi inédit en Grande-Bretagne que massivement suivi.
Epuisés, les personnels de santé britanniques sont à l’image du système qui les emploie, qu’aucun gouvernement n’a eu le courage de réformer depuis plusieurs décennies. Et pour cause : entièrement public, donc reposant intégralement sur les épaules du contribuable, le NHS est gratuit, qu’il s’agisse des rendez-vous en médecine de ville, de la prise en charge par une ambulance ou de l’admission aux urgences. Epargné par les mesures d’austérité des divers gouvernements conservateurs, le budget du NHS, qui avoisine les 200 milliards d’euros, n’en demeure pas moins le poste plus élevé du budget de l’Etat. Mais il n’a pas augmenté aussi vite que la population britannique vieillit et devient sujette aux maladies chroniques contemporaines. Manque d’investissement, pénurie d’infrastructures, pénurie de personnels – il manquerait, aujourd’hui, 130 000 personnes pour que le NHS tourne normalement –, bureaucratie pesante, sont quelques-unes des conséquences d’un modèle 100% public que les politiques anglais, conservateurs et travaillistes confondus, n’osent réformer par peur de s’attirer les foudres de leur électorat respectif.
Le projet de tiers payant intégré, une menace pour le système français ?
Incongruité dans le pays de naissance du libéralisme, le modèle public de santé britannique peut être mis en regard de celui en vigueur, depuis l’après-guerre lui aussi, en France. Un système fondé, dès sa création en 1945, sur un compromis entre le public et le privé, au sein duquel l’égalitarisme et la rigidité de la sécurité sociale sont, en quelque sorte, tempérés par la souplesse des mutuelles et des complémentaires santé. Autrement dit, si la « sécu » assure un remboursement égalitaire des soins à tous les assurés, quelle que soit leur situation, les organismes d’assurance complémentaire santé proposent un accompagnement personnalisé à leurs assurés, selon leur profil, leurs pathologies ou leurs ressources financières. Résultat : bon an mal an, le système français a, grâce à ce subtil équilibre public-privé, résisté à la crise sanitaire, tout en laissant aux assurés un reste à charge parmi les plus bas des pays de l’OCDE.
Cela pourrait ne pas durer, cependant. Annoncé par le gouvernement et fomenté par un brumeux Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), un projet de « tiers payant intégré » (TPI) prévoirait d’ôter aux complémentaires santé la responsabilité de s’acquitter du ticket modérateur, pour le confier à l’assurance maladie. En somme, il s’agirait d’exclure les mutuelles des dépenses de santé des Français, qu’il s’agisse des soins de ville dans un premier temps, mais pourquoi pas ensuite les soins dentaires et progressivement toutes les autres dépenses de santé. Une étatisation à marche forcée du système de santé français, qui pourrait porter un coup fatal aux mutuelles et à leurs 60 000 employés, tout en privant les assurés de la souplesse permise par leurs complémentaires santé – et ce, sans aucun bénéfice en matière d’accès aux soins, qui demeure, bien avant la question du remboursement, la principale problématique des patients français. Alors que le « paquebot » du NHS prend l’eau de partout, est-il vraiment opportun de rapprocher un modèle tricolore ayant fait la preuve de sa résilience d’un système anglais en train de couler ?