D'emblée, en décembre 1962, je fus passionné : j'étudiais une médecine traditionnelle chinoise où l'on regardait, écoutait, palpait, sentait ; elle me permettait de rester fidèle à la clinique que j'avais apprise de mes maîtres pendant mes études classiques dans les années 50.
De plus influencé par Claude Levy Strauss je sus faire crédit à cette tradition Chinoise ; c'est ce qui m'a permis d'en découvrir peu à peu la profondeur et la validité. Elle a considérablement enrichi mon expérience médicale et modifié mon regard sur la vie et les autres.
La médecine chinoise est-elle une alternative à la surmédicalisation que nous subissons aujourd'hui ?
Je rappellerai l'essentiel : le médecin doit déterminer, pour chaque malade, quels traitements seront les plus efficaces en l'état actuel des connaissances. Ce peut être l'allopathie, la chirurgie, l'homéopathie, l'ostéopathie, la psychothérapie analytique… ou l’acupuncture, seule ou associée à l’une de ces thérapeutiques.
Le but est ici avant tout (et nous retrouvons là encore l’état d’esprit de notre « vieille » médecine clinique) d’accompagner chaque patient et non de se substituer à lui, de faire confiance à ses capacités de restauration somatique et psychique, de ne substituer que si ses ressources sont dépassées aux plans du corps et / ou de la psyché.
L’intention de l’acupuncture est fondamentalement de rappeler au corps un mode de fonctionnement harmonieux qu’il connaît, mais qu’il a oublié pour des raisons diverses.
Quelles sont ses contre-indications ? Avant tout l’urgence médicale ou chirurgicale car tout temps perdu peut être fatal : il importe donc de savoir les diagnostiquer. Nos connaissances anatomiques doivent nous permettre de puncturer tous les points sans risque. Une infection n’est pas une contre-indication car nous employons des aiguilles stériles, jetables : au contraire même, car la médecine traditionnelle chinoise peut participer à stimuler les défenses immunitaires. Un traitement anticoagulant n’empêche pas la pose d’aiguilles car, le point d’acupuncture étant vide par définition, nous ne devons pas, si la puncture est juste, rencontrer des vaisseaux, nerfs, tendons ….
Comment alors savoir, en tant que thérapeute, si elle a sa place, exclusive ou associée, chez un patient ?
Tout d’abord en la situant par rapport aux autres thérapeutiques possibles, ce qui implique une vision et une culture médicale large. Bien évidemment l’expérience du thérapeute est là fondamentale, ainsi que la connaissance qu’il a des points d’acupuncture et de leurs possibilités.
Schématiquement, nous pouvons définir plusieurs cas.
- Il n’est pas, pour un patient, de traitement autre connu ou efficace, allopathique en particulier. L’acupuncture est bien évidemment tout indiquée, souvent souveraine; elle peut même proposer un diagnostic, dans les cas « idiopathiques » où il n’a pu être posé en médecine occidentale, grâce à sa grille de lecture originale.
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Nous sommes devant une lésion organique. Est-elle réversible?
- Si oui, (certains fibromes, polypes, kystes…) l’acupuncture a sa place pour la réduire ou la faire disparaître. Le principe est, en plus du traitement général approprié, de faire circuler localement le Qi pour dissoudre ou réduire l’amas de matière en cause. J’ai eu de bons résultats par exemple dans certains fibromes utérins, polypes du nez ou des cordes vocales.
- Est-elle irréversible ? L’acupuncture peut quand même assez souvent participer à réduire la douleur ou l’inflammation. Le traitement est alors général, particulier à chaque patient : il n’y a là pas de recettes. Il en est de même dans certaines maladies psychiatriques graves, schizophrénie, syndrome bipolaire, névrose obsessionnelle …. Elle peut aussi participer au traitement de maladies graves en aidant, par exemple, à mieux tolérer une chimiothérapie, une radiothérapie….
Il n’y a pas de lésion organique, psychique, biochimique …. Le syndrome est fonctionnel. L’acupuncture est alors bien évidemment indiquée. La question est: seule ou associée?
L’ancienneté, les autres symptômes associés, le contexte, la vie du patient … nous permettront de décider. La logique est ici importante.
De plus l’acupuncteur peut collaborer au traitement de syndromes aigus ou chroniques en atténuant les algies et en stimulant les capacités naturelles de défense et de restauration somatique et psychique des malades. Il lui est aussi possible d’aider les patients à mieux tolérer les traitements allopathiques qui s’imposent et à diminuer leur posologie. En préopératoire, son intervention fera que les opérés saigneront moins, cicatriserons mieux et souffriront moins ensuite. En postopératoire, il peut agir divers symptômes gênants comme les hoquets, douleurs, spasmes, insomnies ….
L’acupuncture est une médecine.
L’acupuncteur peut, de plus pour un certain nombre de patient, proposer un diagnostic propre à la médecine traditionnelle chinoise , et ce n’est pas là son moindre intérêt.
Car nous sommes devant une Médecine, qui comporte un corpus théorique considérable proposant une vision originale de l'homme sain, son fonctionnement et ses relations avec l'univers, de la survenue des maladies, de leurs diagnostics, de leurs traitements par des aiguilles (acupuncture), des plantes (phytothérapie), une diététique, des massages, une gymnique (taijiquan). La M.T.C. n'est pas un ensemble de recettes: elle est une vision du monde, de la vie, de l'homme. Bien plus qu'une thérapeutique, elle nous offre une grille de lecture originale du corps humain dont les symptômes sont le langage. Elle permet de relier, chez un malade, les signes qu'il présente avec ce qu'il est, sa constitution, son tempérament, sa psychologie, sa vie. Elle cherche à traiter la personne au delà des syndromes. Seul l'intéresse ce que chaque individu a d'unique, d'autant que, parmi les 365 points d’acupuncture, 2 ou 3 seulement sont chez lui réellement efficaces.
Pourquoi avons-nous tourné le dos à la médecine chinoise jusqu'à aujourd'hui?
Des progrès se font peu à peu. Un DIU puis une Capacité nationale d’acupuncture ont été mis en place. Le conseil de l’ordre reconnaît la mention « acupuncture » sur les plaques et ordonnances moyennant un diplôme. Des services hospitaliers ont des consultations. A la Salpêtrière une vaste étude est en route. Quelques évaluations sont en cours ou finies. Cela se fait lentement : l’idéal serait que des acupuncteurs puissent participer à la vie des services pour faire comprendre ce que l’acupuncture peut concrètement apporter tant au plan diagnostique que thérapeutique.