Les études d’imprégnation que je viens d’évoquer et qui ont été largement médiatisées nous donnent un instantané des principaux contaminants de notre sang. Mais qu’en est-il des taux de contamination de plusieurs générations ?
C’est à cette question que le WWF a tenté de répondre avec l’étude Contamination : the next generation qui évaluait en même temps les facteurs éventuels de variation, en particulier ceux liés à des différences de mode de vie.
Au cours de l’été 2004, 103 composés chimiques ont été recherchés chez 33 volontaires appartenant à 7 familles vivant en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles. Les volontaires de chaque famille appartenaient à 3 générations, c’est-à-dire grand-mère, père, mère et deux enfants garçon et fille si possible. Au total l’étude a concerné 14 enfants, 13 adultes et 6 grand-mères, l’âge allant de 9 à 88 ans. Résultats : l’ensemble des personnes étudiées, des plus jeunes au plus âgées, sont contaminées par un cocktail de contaminants chimiques comprenant des pesticides organochlorés, des PCB, des retardateurs de flamme bromés, des phtalates, des composés perfluorés.
Les polluants organiques persistants étant caractérisés par leur aptitude à se stocker dans les graisses de réserve et à s’accumuler au cours de la vie, on pourrait penser que la génération des grands parents affiche des niveaux de contamination supérieurs du fait de leur exposition au pic historique des contaminants. De surcroît, ils ont aussi été exposés aux contaminants plus récents. Au contraire la jeune génération a subi la plus courte période d’exposition aux contaminants récents et n’est exposée en théorie qu’à des niveaux résiduels de contaminants historiques. Les résultats de l’étude montrent que ce schéma théorique n’est pas toujours vérifié. La comparaison des moyennes permet de dégager de grandes tendances : les contaminants dits historiques (DDT, PCB…) et dont l’usage est interdit depuis longtemps diminuent d’une génération à l’autre. Par rapport à la grand-mère, les petits-enfants ont 5 fois moins de pesticides organochlorés et 3,5 fois moins de PCB. C’est le contraire pour des substances d’usage plus récent. Les petits-enfants ont 2,4 fois plus de retardateurs de flamme (PBDE) et de composés perfluorés (PFC) que leurs grand-mères. Pour les phtalates on constate une plus forte teneur chez les parents que pour les deux autres générations. Au total, du fait du poids important représenté par les contaminants historiques, la charge globale en contaminants est deux fois moins importante chez les parents que chez les grands-parents et 3,5 fois moins importante chez les petits-enfants que chez les grands parents.
Le "profil chimique" de chaque famille
À l’intérieur de chaque famille, les résultats sont très variables.
Par rapport aux parents et aux grands-parents, les enfants peuvent être contaminés par un plus grand nombre de substances chimiques d’usage récents et à des niveaux supérieurs, bien que le temps d’exposition ait été plus court. Il s’agit en particulier des retardateurs de flamme bromés ainsi que des composés perfluorés. Ainsi les produits chimiques utilisés tous les jours dans l’environnement familial contaminent le sang des familles étudiées, y compris celui des enfants. Il y aurait peu de rapport entre le lieu d’habitation (urbain, suburbain ou rural) et le « profil chimique » de la famille. Ceci semblerait confirmer l’uniformisation des modes de vies de la ville et de la campagne. Les choix alimentaires, les activités professionnelles ou de loisir, l’usage domestique de certains produits chimiques conditionnent notre profil de contamination (nature et niveaux des contaminants). On a pu simplement noter dans une étude détaillée portant sur une famille une similitude entre le profil des contaminants chez le père et chez le fils d’une part, et chez la mère et les filles d’autre part. Une des explications avancées était que le père allait pêcher des poissons dans la rivière voisine avec son fils et ils les consommaient.
Du côté des ados
Le WWF a conduit une autre série d’analyses sur le sang des adolescents en Grande-Bretagne. Sur 104 substances chimiques recherchées dans 33 familles, 75 ont été détectés. L’étude montre que les échantillons de sang d’enfants âgés au moins de 9 ans contiennent des contaminants industriels dont certains, d’usage récent, présentent des teneurs supérieures à celles relevées dans le sang de leurs parents ou grands-parents. Parmi ces composés, on note les retardateurs de flamme et les composés perfluorés. La plupart de ces composés sont, selon le cas, susceptibles d’induire des effets immédiats ou tardifs sur la santé.
Extrait de "Sang pour Sang toxique" par Jean-François Narbonne