La moitié de la population mondiale pourrait bientôt être obèse ou en surpoids. Une épidémie qui n’épargne plus la France, mais contre laquelle aucune solution miracle n’existe. Qu’il s’agisse de l’insuffisance du sport à l’école, des ratés du Nutriscore ou encore du manque de formation des professionnels de santé, les freins demeurent nombreux.
Toujours plus gros. En 2035, plus de la moitié des êtres humains (51%) pourrait être en surpoids, d’après une récente étude de la World Obesity Federation. « Si les tendances actuelles se maintiennent », une personne sur quatre – soit près de 2 milliards d’individus – sera obèse à la même date, selon la cinquième édition de l’Atlas mondial de l’obésité, publiée le 3 mars dernier. Dans le détail, le taux d’obésité infantile pourrait doubler chez les garçons (208 millions d’enfants) et même augmenter de +125% chez les filles (175 millions) par rapport à 2020. Tous les continents sont a priori concernés par ces inquiétantes prédictions, mais l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud devraient être les régions du monde payant le plus lourd tribut sur l’autel de la malbouffe.
Car cette véritable pandémie aura, en plus de ses inévitables conséquences sanitaires, sociales et humaines, un coût économique astronomique. Selon les auteurs de l’étude, l’augmentation du surpoids dans la population humaine pourrait avoir un impact économique équivalent à 3% du PIB mondial (4,32 trillions de dollars). Autant de raisons de considérer ces résultats comme un « avertissement clair » aux décideurs du monde entier : ceux-ci « doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter de répercuter les coûts sanitaires, sociaux et économiques sur la jeune génération », alerte la Fédération mondiale de l’obésité. Pour sa présidente, la professeure Louise Baur, « si nous ne nous attaquons pas à l’obésité aujourd’hui, nous risquons de graves répercussions à l’avenir. Il est particulièrement inquiétant de constater que les taux d’obésité augmentent le plus rapidement chez les enfants et les adolescents ».
En France, « il faut considérer l’obésité au même titre que le cancer »
La France n’est plus épargnée par un phénomène longtemps perçu – à tort – comme une particularité américaine. D’après une étude menée par l’Inserm et la Ligue contre l’obésité, près d’un Français adulte sur deux (47,3%) serait aujourd’hui en situation de surpoids ou d’obésité. La proportion de personnes obèses a doublé depuis 1997, atteignant désormais 17% dans l’Hexagone. Comme ailleurs dans le monde, ce sont les jeunes qui sont les premiers touchés par la prise de poids : toujours depuis 1997, la proportion d’individus obèses a été multipliée par quatre chez les 18-24 ans, et par trois chez les 25-34 ans. Les ouvriers (51% en surpoids ou obèses) sont plus concernés que les cadres (35%) ; de même, les régions désindustrialisées, comme les Hauts-de-France ou le Grand-Est, comptent plus de 20% d’adultes obèses.
Au-delà de l’influence, documentée, des critères socio-économiques sur l’apparition du surpoids et de l’obésité, « il y a un contexte obésogène favorisé par les aliments industriels », rappelle Karine Clément, professeur de nutrition et directrice à l’Inserm. L’experte pointe notamment le rôle délétère joué par les aliments ultra-transformés mis en avant dans les grandes surfaces, ou encore les conséquences des confinements successifs en termes de sédentarité et de santé mentale et psychique. Pour le chirurgien et coauteur de l’étude David Nocca, l’heure est donc venue de « considérer l’obésité au même titre que le cancer. (…) L’obésité est une maladie chronique, mortelle et qui présente des risques de récidive ».
Sport, étiquetage alimentaire, formation des médecins… : les imperfections des solutions
Heureusement, face au fléau de l’obésité, des solutions existent. Mais la plupart d’entre elles sont imparfaites. C’est par exemple le cas la généralisation du sport à l’école, où les élèves d’aujourd’hui sont nettement moins alertes et endurants que leurs semblables des années 1980. Porté par l’Education nationale et le comité olympique de Paris 2024, le programme « 30 minutes d’activité physique à l’école » entend ainsi, depuis la rentrée de septembre dernier, faire bouger les élèves de primaire. Mais « les freins sont puissants », se désole l’ancien sportif de haut niveau Stéphane Diagana : « frein sociétal, quand tout invite à aller vite, à mal manger et moins bouger ; frein des mentalités aussi, avec un regard sur le sport qui doit encore évoluer, notamment dans l’éducation nationale où le sport est encore nettement moins considéré́ que les mathématiques ». Et l’ex-champion du monde du 400 mètres haies d’estimer qu’il « faudra passer par des formes de contrainte pour accélérer le mouvement ».
La solution viendrait-elle, alors, du côté de l’étiquetage alimentaire ? Hélas, là aussi, l’intention, louable sur le papier, n’a pas porté ses fruits. Le « Nutriscore » qui, depuis plusieurs années, est supposé aider les consommateurs à y voir plus clair, fait l’impasse sur la présence d’édulcorants ou de conservateurs, en ignorant la portion réellement consommée au quotidien pour n’afficher que les apports pour 100 grammes de produit. L’introduction de l’étiquetage coloré s’est ainsi soldée par une confusion accrue dans l’esprit des consommateurs. Pourquoi, en effet, se priver de soda « light » ou de frites industrielles si ces aliments peuvent fièrement afficher un « A » ou un « B » sur leur emballage ? Si le concept d’un étiquetage alimentaire peut donc, sans aucun doute, aider celles et ceux qui le désirent à équilibrer leur alimentation, reste encore à trouver une formule qui évite les écueils du Nutriscore.
Enfin, une autre piste pourrait venir de la formation des médecins sur les questions de surpoids et d’obésité. Aussi surprenant que cela puisse paraître, « les professionnels de santé, quels qu’ils soient, médicaux ou paramédicaux, ne sont pas formés en cursus initial », relève Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses. « C’est un immense problème », regrette Mme Joly, car le médecin « va soigner les comorbidités associées, le diabète, l’hypertension artérielle, mais il ne va pas soigner la source ». « Il y a une méconnaissance et un trou dans la raquette », conclut celle qui « aimerait que l’Etat dise très clairement que l’obésité est une maladie ». Une maladie complexe, et non une fatalité, contre laquelle les réponses seront, elles aussi, nécessairement complexes, plurielles et personnalisées.