On ne parle pas à un patient souffrant d’un dommage associé aux soins ou à un juge comme lorsqu'on évoque des statistiques ou des "risques". De même lorsqu'on travaille avec un médecin impliqué dans un effet indésirable lié aux soins, une fois levée la réticence de pudeur et de sécurité, il risque de chercher soit à se disculper soit à se rendre responsable de tout ce qui est arrivé.
Chaque situation implique un pooint de vue et des intérêts, tandis que chaque interaction s’appuie sur des capacités de parole et d’écoute pour ses protagonistes.
Le risque médical pour les patients se traduit par un risque juridique pour les médecins. Ces deux risques doivent-ils être proportionnels, inverses, ou encore sans lien l’un avec l’autre ? L’objectif est bien sûr de diminuer le risque des patients dans leur accès et leur utilisation des soins.
La question est de savoir dans quelle mesure le fait de conduire les médecins à travailler sous la pression du risque juridique est utile ou non aux patients. Faut-il que les soignants soient en situation d'insécurité pour que les patients soient plus tranquilles ? En d’autres termes, la sérénité des soignants est-elle forcément opposée à la sécurité des patients ? Certes, quand on a peur, on est tout naturellement plus prudent. Mais trop de prudence ne peut-elle pas parfois être nuisible ? Par exemple, les soignants hyperesthésiques au risque juridique ne risquent-ils pas, en prolonger les consultations et en surveillant trop de détails, de se perdre dans les méandres de leur vigilance ? Ne risquent-ils pas d’oublier de hiérarchiser les problèmes, de les pondérer et par un excès de rigueur, d’en oublier l’essentiel ? Ne risquent-ils pas enfin en surchargeant leur emploi du temps soit d’évacuer nombre de patients avec les conséquences qui en résulteraient, soit d’assumer toute la charge de travail nécessaire et de s’y brûler pour finalement ne plus du tout pouvoir travailler, ou pire, travailler mal.
Lors de la survenue d’un événement indésirable, la séparation fonctionnelle du soignant et du patient est accentuée puisque, loin d’être encore partenaires, ils deviennent en quelque sorte des adversaires. Pourtant, ils sont encore plus liés que lors du soin standard puisque le patient a subi des dommages attribués au soignant et que ce dernier est « accroché » par les demandes, récriminations ou plaintes du patient. L’une des options par rapport à ce rapprochement obligé du patient et du soignant est de l’assumer et de l’optimiser au mieux et, plutôt que de s’efforcer de le distendre à l’aune du conflit, d’en faire une ressource.
Extrait de "L’erreur médicale, le burnout et le soignant" par Eric Galam