Avec le vieillissement de la population, de plus en plus de travailleurs doivent s’occuper d’un proche en marge de leur emploi. Heureusement, ces salariés aidants bénéficient d’un soutien grandissant des entreprises, qui peut prendre différentes formes.
Personne âgée, malade ou handicapée… Beaucoup d’entre nous connaissent un proche qui a besoin d’une aide plus ou moins importante au quotidien. Les plus lourdement touchés sont généralement pris en charge par des professionnels de la santé. Mais pour les autres, ce sont souvent les conjoints, parents, enfants, frères et sœurs ou même les amis qui sont mis à contribution. En France, 8,3 millions de personnes s’occuperaient ainsi quotidiennement d’un membre de la famille ou d’un ami en situation de dépendance. Parmi eux, 47 % exerceraient un emploi, soit près de 4 millions d’actifs. Cela représente environ 2 salariés sur 10, une proportion qui aurait doublé en 10 ans, d’après une enquête publiée en 2018 par Malakoff Médéric. Et d’ici 2030, le taux de salariés aidants devrait atteindre un quart de la population de travailleurs, selon Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Dans 25 % des cas, le besoin d’aide est lié au vieillissement ; 24 % à un cancer, un AVC ou une autre maladie ; et 19 % au handicap. « Avec l’allongement de l’espérance de vie des parents de salariés et la hausse du nombre de maladies chroniques, les salariés aidants sont de plus en plus nombreux », explique Fabien Piazzon, auteur d’Absentéisme : l’alerte rouge. Panser et repenser le travail.
« 50 % des aidants familiaux décèdent avant les proches qu’ils aident »
Si la question reste rarement évoquée dans les médias, elle revêt un enjeu considérable pour les salariés concernés comme pour l’entreprise. 88 % des salariés aidants consacreraient ainsi 20 heures par semaine à leurs proches. Forcément, cette débauche de temps et d’énergie a des conséquences néfastes sur leur propre qualité de vie. Au point de mettre leur santé en danger. Une étude de l’OCDE publiée en 2011 estime le risque pour l’aidant d’avoir des problèmes de santé comme étant 20 % supérieur à la moyenne. À en croire Christophe Roth, délégué national du syndicat spécialisé CFE-CGC, la situation serait beaucoup plus inquiétante. « Les statistiques des services sociaux des Carsat (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) montrent que 50 % des aidants familiaux décèdent avant les proches qu’ils aident, consécutivement à des pathologies d’épuisement… » Pas étonnant, dans ces conditions, que 8 aidants sur 10 aient des difficultés à concilier leur rôle d’aidant et leur activité professionnelle, selon une étude de France Alzheimer. Et pour cause : 90 % d’entre eux ressentiraient plus de fatigue et de stress, liés au manque de sommeil, au sentiment d’isolement et à la peur de l’avenir. La situation de ces salariés présente des conséquences directes sur leur activité professionnelle, comme les sollicitations téléphoniques (pour 44 % d’entre eux), les changements d’horaires (33 %) et la réduction du temps de travail (29 %). En outre, plus de la moitié souffrirait de problèmes d’absentéisme (59 %) et d’organisation (50 %), 48 % de démotivation et 41 % de perte de productivité. Sans oublier les nombreux jours de RTT et congés posés pour s’occuper des proches. « On sait, sans savoir les compter, que les aidants doivent s’absenter de leur activité professionnelle, témoigne Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants. La durée d’absence varie en fonction des situations, de quelques jours à plusieurs semaines. »
Exprimer et entendre le besoin d’accompagnement
Conscientes du risque encouru par les salariés aidants et de l’impact potentiel sur leur travail, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à proposer des programmes d’accompagnement. Pour beaucoup, la première étape consiste à libérer la parole des personnes concernées, car la démarche n’est pas toujours bien acceptée par les aidants comme par la hiérarchie. « Les niveaux de maturité des entreprises sont très différents selon leur taille et la motivation des responsables des ressources humaines, mais la plupart n’en sont toujours qu’au début », confie Scarlett Lazaric, responsable du pôle action sociale régionale au sein de Klesia. Seulement un tiers des salariés ose confier ses problèmes à son supérieur hiérarchique, et 18 % à un responsable des ressources humaines, selon l’étude de Malakoff Mederic. Logiquement, moins d’un tiers (31 %) des entreprises parvenaient à identifier le nombre d’aidants au sein de leurs effectifs en 2017. Pourtant, les besoins exprimés sont nombreux afin de faire face à la situation : obtenir des informations sur les aides disponibles (64 % d’entre eux), avoir des horaires plus souples (61 %), se former à l’aide à la personne (38 %), mettre en place des groupes de parole (30 %), etc. « Les groupes de parole permettent de conseiller les managers sur leur perception de la situation et de co-construire avec le salarié sa propre solution », explique Hélène Bonnet, responsable du programme « Cancer et travail : agir ensemble » chez Sanofi.
Les dispositifs légaux
Les programmes d’accompagnement peuvent en effet proposer des solutions utiles pour les salariés aidants, notamment en matière de congés. Ils peuvent déjà les orienter vers les dispositifs légaux : le congé de proche aidant, pour s’occuper d’une personne handicapée ou en perte d’autonomie, qui n’ouvre le droit à aucune forme de rémunération ou d’indemnisation ; le congé de solidarité familiale, pour accompagner un proche en fin de vie ou gravement malade, pendant lequel le salarié peut bénéficier d’une allocation journalière d’accompagnement ; et le don de congés par les collègues du salarié aidant. Face à la précarité de ces situations, de plus en plus d’entreprises vont plus loin pour les soutenir dans cette période délicate. Parmi les précurseurs, Novartis, le Crédit Agricole et Casino ont étendu depuis plusieurs années leurs accords d’entreprise pour soulager les salariés aidants. En 2013, Casino a ainsi instauré un congé aidant de 12 jours en plus des congés payés et des RTT. Aujourd’hui, Sanofi a porté cette durée à 50 jours pour son personnel. D’autres groupes se distinguent par des accords-cadres encore plus avantageux.
Les grands groupes solidaires
La branche des industries électriques et gazières assure ainsi le paiement de 80 % du salaire net pendant un congé de présence parentale ou de solidarité familiale. La Poste propose quant à elle des possibilités de télétravail (25 jours par an), un fonds de solidarité pour le don de congés entre collègues ainsi qu’une plate-forme d’accompagnement dans les démarches (Domiserve). Preuve que ces dispositifs ne sont pas superflus, le nombre de demandes explose dans les entreprises. Chez Sanofi France, 1 700 dossiers ont été traités en deux ans et demi, contre seulement une centaine en 2015. Au sein d’EDF aussi, l’accord mis en place à 100% depuis début 2019 a permis aux salariés de bénéficier de congés pour aider un proche ou s’occuper d’un enfant malade. L’électricien propose également un dispositif solidaire pour les aidants sans perte de salaire et une plate-forme téléphonique d’accompagnement en cas de difficultés psychologiques ou administratives. Depuis 2016, tous ces programmes sont mis à l’honneur par le Prix Entreprise & salariés aidants, qui récompense les meilleures initiatives en la matière. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 28 octobre pour la quatrième édition, qui se tiendra le 18 novembre 2019 à Paris.