Si la crise économique occupe le devant de la scène médiatique, elle ne doit pas occulter une autre crise, toute aussi profonde, qui se dessine en parallère: celle de la fracture médicale. Etat des lieux d’un phénomène qui plonge de nombreux territoires dans des difficultés préoccupantes d’accès aux soins.
Une France des déserts médicaux, et des inégalités territoriales
Avec 345 médecins pour 100 000 habitants, la France n’est pas considérée comme un désert médical au sens de l’OMS, qui fixe le seuil critique à 250 médecins pour 100 000 habitants. Mais cette moyenne cache des disparités importantes : certains territoires affichent en effet des chiffres bien inférieurs à ce niveau. Fin 2012, l’UFC Que Choisir a publié une enquête sur l’accès aux soins (1), qui révèle que 5% de la population se trouve dans un désert médical pour les généralistes, mais ils sont respectivement 19, 14 et 13 % à souffrir de façon alarmante de la pénurie de pédiatres, gynécologues et ophtalmologistes. Sans compter que l’accès aux spécialistes ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires est plus difficile encore, accentuant cette fracture sanitaire déjà préoccupante.
La dernière étude Yssup Research sur le cas des ophtalmologistes est édifiante : il faut en moyenne 77 jours pour obtenir un rendez-vous, mais ce délai atteint facilement une année dans plusieurs départements. Plus inquiétant encore, 15% des ophtalmologistes ne sont même plus en mesure d’accepter de nouveaux patients. A l’heure actuelle, on observe déjà une fracture entre le nord et le sud, mais aussi entre les territoires ruraux et urbains – le centre du pays étant particulièrement menacé. Et, mécaniquement, la situation va empirer : Hervé Maurey, sénateur centriste de l'Eure et auteur d’un rapport sur les déserts médicaux publié en février 2013 (2), alerte sur le fait que « le nombre de médecins diminuera du fait de la baisse du numerus clausus, tandis que la population augmentera et vieillira ». On estime aujourd’hui à un quart la proportion de médecins partant à la retraite et qui ne sera pas remplacée…
Un plan de lutte contre la désertification médicale
Les inégalités dans l’accès aux soins sont donc d’ores-et-déjà une réalité, et ne peuvent laisser indifférents les pouvoirs publics. Marisol Touraine a ainsi lancé en décembre 2012 un Pacte Territoire-Santé pour lutter contre les déserts médicaux (3). Les 12 mesures annoncées concernent les moyens d’attirer les jeunes médecins dans les territoires sous-dotés, la modification des conditions d’exercice des personnels de santé et enfin l’investissement dans les territoires isolés. Par exemple les pharmaciens ne seront bientôt plus rémunérés à la « boîte » vendue, mais en partie au forfait, en contrepartie des actes médicaux, des conseils ou des interventions sur ordonnances qu’ils seront susceptibles de réaliser. Isabelle Adenot, présidente de l'Ordre des pharmaciens est optimiste sur les résultats de cette petite révolution : « C'est un métier d'avenir, en pleine évolution. Le passage de la vente de comprimés à l'accompagnement médical devrait motiver les jeunes ».
Si le gouvernement s’est félicité de plusieurs avancées lors du premier bilan de ces mesures en février dernier (création de postes de praticiens territoriaux, développement des maisons de santé…), il n’en reste pas moins que l’accès aux soins restera problématique sans relais plus massifs encore là où ils sont nécessaires : dans les territoires touchés.
Présence et actions au plus près du terrain
Or, dans certains domaines, ces relais existent. C’est pourquoi le transfert de compétences aux autres professions médicales, qui, elles, sont déjà présentes sur le terrain, est une piste sérieuse. Marisol Touraine l’a réaffirmé : « il faut absolument accélérer la réflexion sur ce sujet et libérer du temps médical ». La pénurie d’ophtalmologistes doit par exemple être analysée au regard d’un autre réseau de professionnels de santé, qui, lui, offre un maillage dense du territoire : celui des opticiens. « Grâce aux progrès de notre implantation territoriale, un nombre croissant de français a maintenant accès aux services d’opticiens professionnels », explique Yves Guénin, le secrétaire général de l’enseigne, qui détaille : « 85% des Français se trouvent à moins de quinze minutes en voiture d'un point de vente Optic 2000 ». La coopérative spécialisée en distribution de produits optiques dispose en effet d’un vaste réseau national avec plus de 1200 points de vente répartis sur toute la France. La délégation de compétences sur certaines tâches permettrait notamment de pallier le problème des délais d’attente chez les ophtalmos.
Mais les opticiens ne sont pas les seuls relais sur lesquels il est possible de s’appuyer. Dans l’Est de la France par exemple, L'incubateur d'entreprises innovantes de Franche-Comté se positionne, entre autres, comme un outil de promotion de l’innovation et de lutte contre les déserts médicaux. En effet dans la région, seuls 77 % des praticiens formés sur place restent pour exercer ; un déficit se creuse donc un peu plus chaque année, malgré quelques solutions comme un recours accru aux infirmières et pharmaciens. Pour Hervé Maurey, « infirmières et pharmaciens peuvent accomplir certains actes assumés aujourd’hui par des médecins ». Tous deux ont en commun d’être déjà bien implantés dans les territoires. Preuve de que cette solution est déjà effective dans certaines régions reculées, suite à un accord négocié avec l’assurance-maladie, le nombre d’infirmières libérales a augmenté d’un tiers dans certaines régions (4). « C’est la preuve qu’une régulation bien faite porte ses fruits. Et les médecins seraient bien inspirés de suivre l’exemple des infirmières » souligne Hervé Maurey.
Une autre piste pour lutter contre la désertification médicale réside dans la télémédecine. La société H4D vient d’ailleurs d’installer sa première cabine « Consult-Station » à Cluny, en Bourgogne. Le dispositif permet de prendre un certain nombre de mesures médicales, envoyées ensuite au médecin. « Conçue par la société H4D, cet outil permet au patient de mesurer son poids, sa taille, sa tension…, tous résultats qui pourront être consultés par son médecin traitant sur un site internet. En cas d'urgence, le patient peut entrer en communication visuelle et sonore avec son médecin traitant », explique le site Age-village (5). Une autre version de la cabine permet même d’effectuer une visio-conférence avec son médecin. Pour Franck Baudino, médecin et à l’origine avec Laurent Filippi de la Consult-Station, cette dernière permet de « rompre l’éloignement sanitaire, puisque la notion de proximité devient galvaudée ». Pas de quoi remplacer le contact humain, diront certains, mais une piste à considérer, parmi d’autres.
Aussi préoccupante que soit cette crise de la santé dans les territoires, il reste rassurant de constater que des pistes pour rétablir un système égalitaire d’accès aux soins émergent. A condition qu’elles soient pleinement exploitées.
(1) http://www.quechoisir.org/sante-bien-etre/systeme-de-sante/communique-acces-aux-soins-l-ufc-que-choisir-presente-la-carte-de-l-intolerable-fracture-sanitaire
(2) http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-335-notice.html
(3) http://www.sante.gouv.fr/le-pacte-territoire-sante-pour-lutter-contre-les-deserts-medicaux,12793.html
(4) http://www.la-croix.com/Ethique/Medecine/Les-infirmieres-ont-retrouve-le-chemin-des-deserts-medicaux-_NP_-2013-02-26-915203
(5) http://www.agevillage.com/actualite-10858-1-maison-de-retraite-telemedecine-sante-patient.html