Des solutions de thérapie génique très lucratives sont mises sur le marché en procédure accélérée. Aux dépends des risques réels, du principe de précaution, et de l’éthique.
Aujourd’hui, la thérapie génique offre des perspectives incroyables de santé. Cette technique qui permet de modifier un gène “malade” ou déficient afin de corriger, entres autres, des maladies orphelines ou héréditaires pourrait permettre d’éviter des tragédies familiales qui ne touchent pas moins de 8000 Français.
Ce n’est pas une litote que de dire que la thérapie génique porte donc en son sein les bases d’une révolution de santé.
Toutefois, cette révolution n’en est qu’à ses balbutiements. Les conséquences à long terme d’un traitement par thérapie génique, qui est encore une thérapie dite expérimentale, sont à ce jour totalement inconnues. Pour l’heure, nous sommes bien incapables de connaître l’impact d’une modification de l’ADN de la ligne germinale (cette ligne qui permet donc la transmission d’un gène) ou des doubles hélices pourrait avoir à l’échelle d’une espèce. Il serait tout aussi possible d’éradiquer complètement des maladies génétiques… que de créer une vague de décès sans précédents. Il ne s’agit pas d’une vision de l’esprit : en sept ans, la NIS américain a ainsi recensé plus de 691 “événements indésirables graves“, c’est-à-dire une détérioration des organes ou la mort de patients dans le cadre d’expériences liées à la thérapie génique humaine.
Demeure alors la question, cruciale, de savoir comment développer une thérapie appelée à résoudre les problèmes génétiques les plus graves tout en limitant les risques et les dérives éthiques intrinsèques liées à la modification des gènes. Cette question ne devrait pas être tranchée rapidement. Et pourtant.
Procédure accélérée
Aujourd’hui, prétextant l’urgence médicale, les solutions de thérapie génique se déploient sur le marché. La FDA (Food and Drug Administration) américaine est partie prenante dans ce développement rapide de l’utilisation des thérapies géniques. Elle a ainsi lancé un processus accéléré de mise sur le marché du Zolgensma, un médicament développé par AveXis qui permettrait de soigner l’amyotrophie spinale, une maladie orpheline rare qui attaque le système nerveux des nourrissons et aboutit à leur décès ou à une absence de mobilité.
Mais les conditions dans laquelle ont été lancées la procédure de mise sur le marché interrogent. Le cas du Zolgensma, d’AveXis, est en effet inquiétant à double titre. D’une part parce que ce dernier ne s’est développé que sur un panel très faible (moins de quinze personnes). Ensuite parce que cette thérapie touche des enfants, certes atteints d’amyotrophie spinale, mais qui peuvent déjà bénéficier de thérapies alternatives éprouvées.
La mise en place sur le marché d’un médicament à peine testé donne la désagréable sensation que la science est à la recherche de cobayes. Ce cas rappelle, pour les connaisseurs, la tristement célèbre histoire de Jesse Gelsinger, un individu qui était mort quelques jours après avoir expérimenté une thérapie génique dans l’objectif de soigner une maladie rare.
En outre, c’est surtout l’appât du gain qui semble mener la danse. Pour Big Pharma, le Zolgensma est en effet une « cash machine » qui pourrait rapporter plusieurs milliards de dollars.
Le prix de la vie
À ce jour, le Zolgensma devrait coûter plusieurs millions d’euros par patient. Certains jugent, d’ores et déjà, que le Zolgensma sera une très bonne opération pour Novartis, qui a racheté AveXis pour près de 9 milliards de dollars, afin de faire main basse sur le précieux traitement.
« La négociation du prix crée un rapport de force très favorable [aux laboratoires] » explique le directeur des affaires publiques de l’AFM-Téléthon, Christophe Duguet pour France Culture.
« Quand on est dans une situation avec une incertitude sur ce que va être la valeur (du médicament) et une incertitude de pouvoir bien la mesurer, les revendications de prix imposées d’une certaine façon par les laboratoires, la négociation est assez vite déséquilibrée et amène depuis ces dernières années à une inflation excessive des prix fixés. Prix étant de plus en plus totalement déconnectés des coûts qui ont amené à l’invention, la production, la diffusion de ces produits. »
Autre risque, celui d’une course à l’échalote au niveau des prix. Car quand un laboratoire obtient des prix élevés pour un médicament, ce dernier fixe le delta sur lequel tous les autres s’aligneront. Résultat, le Zolgensma, dont la vente unique serait estimée entre 4 et 5 millions d’euros, pourrait créer un dangereux précédent pour tous les traitements issus de la thérapie génique. Au-delà du seul risque sanitaire, la thérapie génique ouvre la voie, bien malgré elle, à un monde où la médecine devient de plus en plus un businessqui se nourrit de l’impasse des parents et des enfants qui sont victimes de maladies orphelines. Dans une société moderne où la plupart des maladies sont bien traitées, le prix de la vie constitue l’ultime frontière – et l’ultime marge de rentabilité pour les grands laboratoires en perte de visite financière depuis la perte de brevets et l’explosion des médicaments génériques. Derrière les applications de la thérapie génique se profilent donc quelque chose de plus pernicieux : un modèle « à l’américaine », loin de notre héritage social d’accès égaux aux soins, qui pourrait toutefois s’inviter en France…
Se posera alors un dilemme moral : à combien notre société estime le prix de la vie ?